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LA PHRASE

mémento grammatical

mémoire musicale

Oscar Wilde

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  • Meurtres pour mémoire, Daeninckx, 1984.

 

 

Roman d'autant plus remarquable qu'il a contribué à faire connaître un événement historique méconnu lors de sa publication, la guerre d'Algérie étant à mon avis, après l'affaire Dreyfus et la Seconde Guerre Mondiale, une période majeure de l'Histoire de France du 20ème siècle, un objet de clivages politiques essentiel, un marqueur de l'inconscient collectif des deux côtés de la Méditerranée.

 

Roman policier qui s'inscrit dans un contexte historique très précis, Meurtres pour mémoire s'ouvre le 17 octobre 1961, jour de la manifestation parisienne d'Algériens hostiles au couvre-feu qui leur est imposé et favorables à l'indépendance de l'Algérie...réprimée dans le sang par des forces de police dirigées alors par un préfet de Police bien connu : un certain Maurice Papon.

Résumé chapitre par chapitre:

 

  1. Saïd Milache imprimeur vivant dans un bidonville (cf Demain, demain: Nanterre, bidonville de la Folie, Laurent Maffre, 2012)se rend avec son ami Lounès Tougourd à un rendez-vous mystérieux, près du Rex à Paris, le soir du 17 octobre 1961. A 19h25, au même endroit, le même jour, se trouve Roger Thiraud, professeur de latin et d'histoire. Après les cours, il est allé au cinéma voir un film fantastique. Il rentre avec un bouquet de mimosas et deux pâtisseries. Sa femme est enceinte. Kaïra Guélanine, soeur d'Aounit, vit dans un bidonville. Elle demande à son frère de la conduire à Paris où elle a rendez-vous avec Saïd à 19h30. Il est question d'une "surprise" qui doit être ignorée des "flics". En réalité, il s'agit d'une manifestation d'Algériens tenue secrète jusqu'au dernier moment ce que suggèrent deux allusions: *le sourire de Saïd qui imprime l'affiche du film Paris nous appartient                                  * la plaisanterie de Kaïra sur la place de l’Étoile (Champs-Élysées) rebaptisée place du Croissant et de l’Étoile.                                                                                      Les trois personnages se croisent donc le même jour à la même heure ce 17 octobre 1961.
  2. *Manifestation d'Algériens hostiles au couvre-feu qui vient de leur être imposé: la manifestation est violemment réprimée par la police: Saïd meurt, Kaïra est arrêtée. La manifestation est aussi favorable à l'indépendance algérienne. Les Parisiens ont peur et sont plutôt du côté des policiers.                                                             *L'assassinat de Roger Thiraud par un homme qui porte l'habit des CRS. Expérimenté, il accomplit une mission en abattant un homme apparemment ordinaire, dont le seul vice connu, ou du moins vécu comme tel par Thiraud est un amour caché pour le cinéma fantastique. Dans la confusion, cet assassinat passe inaperçu. Le nombre de morts annoncé par la police est faux.
  3. Une ellipse de 20 ans sépare les chapitres 2 et 3. Le chapitre 3 se passe en effet en 1981 et s'ouvre sur de nouveaux personnages:                                                *Bernard Thiraud, élevé par ses grands-parents, étudiant en Histoire.             *Muriel Thiraud, mère de Bernard. Elle vit en recluse depuis l'assassinat de son mari, Roger. Elle se désintéresse de son fils. Elle est comme un "fantôme" selon      *Claudine Chenet, étudiante en Histoire, que fréquente Bernard Thiraud.           Bernard et Claudine partent en vacances au Maroc. A Toulouse, où ils s'arrêtent pour permettre à Bernard de consulter des archives, un homme de soixante ans environ assassine Bernard qu'il tue à bout portant, en pleine rue. Désormais, on comprend mieux le pluriel du titre: meurtres. Le roman policier s'ouvre véritablement avec l'apparition d'un enquêteur. Après l'assassinat de Bernard Thiraud en effet, le statut du narrateur change ("je"= inspecteur Cadin) ce qui place le lecteur en position de premier témoin d'une enquête qui s'ouvre avec des personnages mystérieux:             *la victime      : étudiant en Histoire, c'est un jeune homme banal apparemment mais mystérieux voire inquiétant à propos de ses recherches.                                             *le meurtrier    : il a procédé à une filature. C'est un homme de 60 ans environ, peu inquiétant apparemment. Pourtant il commet un homicide volontaire en faisant preuve de détermination, pas de professionnalisme, même si c'est un connaisseur (il a utilisé un "pistolet vierge" c'est-à-dire une arme intraçable)                                             *le témoin: s'il n'y a pas de témoin de l'assassinat, un personnage étonnant, extravagant, apporte un témoignage capital. Homosexuel, il avait été séduit par Bernard Thiraud mais avait renoncé à le suivre voyant que celui-ci était déjà filé par un homme de taille moyenne aux cheveux gris blanc d'au moins 60 ans conduisant une voiture noire RENAULT 30 TX immatriculée à Paris (75).                                  Les archives consultées par Bernard Thiraud ne permettent pas de faire avancer l'enquête.
  4. Claudine Chenet accepte de conduire Cadin à Paris. Bernard étudiait le Moyen-Âge et non la Seconde Guerre mondiale comme le supposait Cadin qui poursuit l'enquête auprès des Renseignements Généraux (RG). Il apprend notamment que Roger Thiraud mort le 17 octobre 1961 aurait été lié au mouvement terroriste algérien ("porteur de valises"). Son dossier semble néanmoins "incomplet ou pire, bidon" aux yeux de Cadin qui constate qu'il n'y a eu ni enquête ni autopsie après son assassinat. L'affaire semble relever du secret d’État, être éminemment politique. On cherche à le dissuader de poursuivre ses investigations. Insensible aux pressions, il lui reste des pistes assez minces:                                                                                         *les journaux et tracts de l'époque.                                                                   *un photographe des RG, Marc Rosner...qui n'a jamais remis les bobines.             *un reportage de la télévision belge (RTBF) présente pour couvrir le voyage du shah d'Iran et une tournée de Brel à l'Olympia. Un reportage d'une heure sur la manifestation du 17 octobre 1961 existe mais n'a jamais été diffusé...
  5.  Cadin va retrouver Marc Rosner pour essayer d'en savoir plus sur le 17 octobre 1961. Le photographe a été marqué par cette soirée après laquelle il a mis un terme à sa carrière dans la police. Il raconte le suréquipement des policiers, les mensonges racontés sur les ondes de la police ce soir-là, les cadavres jetés à la Seine...Rosner était dans le quartier du Rex et a croisé l'équipe de la RTBF. Cadin contacte M.Deril (RTBF) qui lui donne rendez-vous à Bruxelles. Il apprend que les services de sécurité français ont déjà cherché à racheter l'original et les copies du film belge sur les manifestations du 17 octobre 1961. Cadin regarde le film d'autant plus violent qu'il n'y a pas de son. Scènes de cadavres jetés dans la Seine. Moment étonnant: un CRS enlève son manteau dans un quartier en proie à l'émeute...qui se trouve être le lieu du crime (un homme passe un bouquet de fleurs et des pâtisseries à la main). Cadin repart avec le cliché de l'homme extrait du film.
  6. Cadin revient à Paris interroger Mme Thiraud qui ne l'a jamais été alors qu'elle a été le témoin de l'assassinat de son mari! Mme Thiraud ne reconnaît pas le cliché extrait du film belge et ne comprend pas pourquoi on aurait voulu le tuer: historien, il s'intéressait au Moyen-Âge et à sa ville natale: Drancy. Cadin se rend chez Dalbois, son collègue des RG, qui lui conseille à nouveau de laisser tomber. Cadin lui laisse le cliché pour obtenir des renseignements sur l'assassin. Cadin revoit Claudine: elle espère des avancées mais se montre méfiante à l'égard de la police. Elle remet le travail de Bernard sur Drancy à Cadin qui rentre à Toulouse.
  7. Cadin arrête un braqueur de bijouterie en flagrant délit. La presse loue le courage du policier sans jamais mentionner que le gangster était armé d'une arme factice, d'un jouet. Dalbois quant à lui, a retrouvé la trace de l'exécuteur de Roger Thiraud et en informe Cadin: l'assassin s'appelle Pierre Cazes. Il appartenait aux Brigades spéciales chargées de liquider les responsables de l'OAS et du FLN. Il mentionne une loi d'amnistie  qui date de juillet 1962 couvrant ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie. L'assassin est un policier à la retraite qui vit dans la région de Toulouse. Pierre Cazes est un homme d'une soixantaine d'années. cadin déballe tout à Cazes qui, surpris, avoue sans mal l'assassinat de 1961. Il s'agissait pour lui d'une mission parmi d'autres. Pierre Cazes est très malade. Il possède une Mercédès verte. Sa femme note le numéro d'immatriculation de Cadin. Retour de vacances du commissaire Matabiau préoccupé par les pressions politiques municipales. Matabiau invite Cadin à la prudence mais lui renouvelle sa confiance.
  8. Cadin se plonge dans la monographie que Roger Thiraud avait consacrée à la ville de Drancy: un camp de concentration servit de point de départ à la déportation de 70 000 personnes, y compris des enfants. Par un heureux hasard, Cadin se demande si la Renault de l'assassin n'aurait pas emprunté l'autoroute A6 plutôt que l'A10...pour brouiller les pistes. Cadin retourne aux archives et s'aperçoit que le fils Thiraud a consulté des documents ...que son père avait lui-même consultés en octobre 1961, quelques jours avant sa mort. Pierre Cazes ne semble pas avoir consulté ces documents en revanche. Lardenne retrouve la trace de la Renault 30 sur l'autoroute du Sud: contrôlée le soir du meurtre pour excès de vitesse, elle était  conduite par une huile détentrice d'une carte tricolore. L'assassin présumé aurait donc bien fait un grand détour. Suivi et mis en joue par le chef archiviste Lécussan, Cadin abat celui qui l'accuse d'avoir "fouillé partout".
  9. Ce chapitre constitue une rupture dans le récit car le point de vue adopté n'est plus celui de Cadin mais celui de Pierre Cazes. Gravement malade, il n'arrive pas à trouver le sommeil à cause de Cadin, le "petit flic de Toulouse" parti d'urgence à Paris. Pierre Cazes prend son pistolet et file à son tour à Paris.
  10. Cadin arrive à Paris. Le gendarme en vacances en Bretagne qui a arrêté la Renault 30 se souvient de son immatriculation, quoi qu'il n'ait pas verbalisé l'huile! 3627 HDA 75. Cadin retrouve Dalbois pour consulter le dossier administratif d'un fonctionnaire de la préfecture de Paris. Cadin et Lardenne se rendent à la préfecture avec Claudine pour rencontrer le directeur des Affaires criminelles, M.Veillut. Trop tard. Pierre Cazes vient de l'abattre...Cadin expose ses conclusions: M.Veillut, commanditaire du meurtre de Roger Thiraud en tant que directeur des Brigades spéciales, averti par Lécussan, est allé lui-même à Toulouse avec sa Renault 30 de fonction abattre Bernard Thiraud qui consultait des documents gênants.
  11. Pierre Cazes est inculpé. Cadin retrouve Claudine et lui apprend le mobile du crime. Veillut a commencé sa carrière de fonctionnaire à Toulouse en 1936. Ambitieux, il a contribué à la déportation de nombreux enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale par excès de zèle! Lécussan était alors son collègue. Roger Thiraud, en s'intéressant à Drancy, s'est aperçu que le nombre d'enfants déportés depuis la région toulousaine était disproportionné. Il a consulté les archives toulousaines pour comprendre pourquoi. Lécussan a averti Veillut qui a ordonné à l'un de ses hommes, Pierre Cazes, de l'abattre pour terrorisme...ce qui s'est fait le 17 octobre 1961. La hiérarchie de Cadin lui ordonne de laisser faire le ministère qui prépare une version officielle.
  12. L'épilogue s'achève sur l'image d'un travailleur algérien qui défait les couches d'annonces publicitaires dans le métropolitain et sur un texte tronqué, tract nazi interdisant toute aide aux juifs.

 

Derrière la figure fictive de Veillut se cache sans doute le personnage bien réel de Maurice Papon, collaborateur sous l'occupation allemande, préfet de police de Paris de 1958 à 1967, ministre du Budget de 1978 à 1981 du gouvernement Barre.... Meurtres pour mémoire paraît en 1984. Quant à Maurice Papon, c'est seulement en 1998 qu'il est condamné pour complicité de crimes contre l'humanité, à dix ans de réclusion.

 complément à cet article: la présidence de la République française, 51 ans après, reconnaît "avec lucidité" une "sanglante répression". La France est grande quand elle sait reconnaître précisément avec lucidité tant ses forces que ses faiblesses. 21/10/2012.

 

 

 

  • L'Horloger d'Everton, Simenon, 1954.

     

    Remarquable roman qui a inspiré Bertrand Tavernier vingt ans après sa publication (L'Horloger de Saint-Paul). La narration est en effet d'une telle précision qu'elle donne à voir au lecteur toutes les pensées, mais aussi les faits et gestes du protagoniste, minutieux dans son travail -il est horloger- comme l'est le narrateur.

    C'est l'histoire d'un père qui vit avec son fils. L'horloger, Dave Galloway, a une vie aussi réglée qu'une pendule. Il veille sur son fils auquel il tient plus qu'à lui-même. Sa femme a quitté la maison six mois après l'accouchement.

    Quelques lignes suffisent à capter l'attention du lecteur, dès le commencement:

    "Jusque minuit, voire jusqu'à une heure du matin, il suivit la routine de tous les soirs, ou plus exactement des samedis, qui étaient un peu différents des autres jours.

    Aurait-il vécu cette soirée-là autrement, ou se serait-il efforcé de la savourer davantage, s'il avait prévu que c'était sa dernière soirée d'homme heureux? Cette question, et beaucoup d'autres, y compris de savoir s'il avait été réellement heureux, il faudrait plus tard qu'il essaie d'y répondre."

    Dès le premier chapitre, après avoir suivi le quotidien du brave homme, on apprend la disparition de son fils, sa fugue, sa fuite, qui nous tiendra en haleine jusqu'au dernier chapitre pour en comprendre les raisons, d'autant qu'elle semble profondément mystérieuse de par ses rebondissements. Tout est vu à travers les yeux et les pensées de Dave Galloway: si l'on connaît rapidement son compagnon l'ébéniste Musak, son attachement à son fils, on apprend par brides partielles et disséminées son passé et ce qui pourrait expliquer l'extraordinaire et meurtrière fugue de Ben...Le chapitre 2 offre un assez long retour en arrière explicatif, mais la compréhension demeure souvent fragmentaire et cachée, comme la lettre d'adieu laissée en morceaux dans la poubelle par Ruth, sa femme.

    La tension entre la précision narrative, plan à plan, et le mystère de ce qui suit est particulièrement efficace. Comme si l'on nous donnait tout à voir et comme si, pourtant, on ne voyait pas. Un peu comme le père et son fils qui se voient sans vraiment se voir, se parlent sans vraiment se parler, vivent ensemble sans se connaître. Ben a pris la voiture de son père et est parti avec Lillian, la fille du voisin: un homme a été tué sur le chemin et les deux fugitifs poursuivent leur route dans la voiture de l'homme assassiné...

     

    Je n'en dirai pas plus ici pour ne pas déflorer davantage une histoire fort belle sur l'incapacité que peuvent avoir un père et un fils à communiquer.

    Dave n'a jamais parlé à son fils du départ de Ruth. Ben n'a jamais interrogé son père sur le sujet.

    "Un jour, beaucoup plus tard, quand Ben serait tout à fait un homme, ils pourraient peut-être en parler tous les deux et Dave lui dirait la vérité."

    Pourquoi Ben refuse-t-il de voir son père? Pourquoi semble-t-il aussi serein?

    "Les actions des autres nous paraissent toujours étranges parce que nous n'en connaissons pas les vrais motifs."

    La dernière phrase est délicieuse d'ambiguïté..."Bientôt, il parlerait à son petit-fils aussi pour lui révéler le secret des hommes." 

     

     

     

 œuvres de ma bibliothèque idéale lues antérieurement à la création du site. A l'occasion de relectures, j'intègrerai les compte-rendus à la rubrique.

 

 

  • Le parfum, Süskind
  • Le loup des steppes, Hesse
  • Voyages de Gulliver, Swift.
  • La Conférence des oiseaux, Attar.
  • Alice au pays des merveilles, Carroll
  • De l'autre côté du miroir, Carroll
  • Le Neveu de Rameau, Diderot
  • Fables, La Fontaine
  • Crime et châtiment, Dostoïevski
  •  Théâtre complet, Molière
  • Antigone, Sophocle
  •  Le Désert des Tartares, Buzzatti
  • Le Comte de Monte-Cristo, Dumas
  • Meurtres pour mémoire, Daeninckx
  • Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, Jonquet
  • Le baron perché, Calvino
  • La Goutte d'or, Tournier
  • La vie est un songe, Calderon
  • Les aventures de Tom Sawyer, Twain
  • La grammaire est une chanson douce, Orsenna
  • Tristan et Iseult
  • Le passe-muraille, Aymé
  • Le Jeu de l'amour et du hasard, Marivaux
  • Le Tour du monde en quatre-vingts jours, Verne
  • Vingt mille lieues sous les mers, Verne
  • La Salamandre, Rufin
  • Le Barbier de Séville, Beaumarchais
  • Le Mariage de Figaro, Beaumarchais
  • Quatre-vingt-treize, Hugo
  • Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac.
  • Illusions perdues, Balzac.

 

 

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  • Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Mathias Enard, 2010.

 

Commençons par la quatrième de couverture: "En débarquant à Constantinople le 13 mai 1506, Michel-Ange sait qu'il brave la puissance et la colère de Jules II, pape guerrier et mauvais payeur, dont il a laissé en chantier l'édification du tombeau, à Rome. Mais comment ne pas répondre à l'invitation du sultan Bajazet qui lui propose -après avoir refusé les plans de Léonard de Vinci- de concevoir un pont sur la Corne d'or?

Ainsi commence ce roman, tout en frôlements historiques, qui s'empare d'un fait exact pour déployer les mystères de ce voyage.

 

Troublant comme la rencontre de l'homme de la Renaissance avec les beautés du monde ottoman, précis et ciselé comme une pièce d'orfèvrerie, ce portrait de l'artiste au travail est aussi une fascinante réflexion sur l'acte de créer et sur le symbole d'un geste inachevé vers l'autre rive de la civilisation.

 

Car à travers la chronique de ces quelques semaines oubliées de l'Histoire, Mathias Enard esquisse une géographie politique dont les hésitations sont toujours aussi sensibles cinq siècles plus tard.

 

 

J'ai aimé le rythme haletant, la construction captivante de l'intrigue -histoire qui s'inscrit dans les interstices de l'Histoire- le cadre et l'atmosphère, les personnages (leurs relations, leurs choix, leurs sentiments, la restitution de leur complexité), la richesse lexicale. Un roman qui séduira les trois publics hugoliens: une action ressérée aux multiples rebondissements, un entrelacs de sentiments, une réflexion sur la création, le désir et l'amour, les puissants et les artistes...

 


La référence à Victor Hugo s'impose à mes yeux dès la première page qui évoque magnifiquement le monde de la nuit: "La nuit ne communique pas avec le jour." Voilà le drame humain pourrait-on ajouter, voilà la beauté de l'oeuvre d'art capable de saisir précisément les contrastes, le clair-obscur constitutif de l'homme. Beauté mais aussi violence car les deux semblent indissociables, pour le plus grand bonheur de l'artiste, ou plutôt du spectateur -car l'artiste vit aussi au plus profond de lui-même ce tiraillement douloureux et crépusculaire. Voilà pourquoi sans doute l'ouverture se poursuit ainsi: "On la porte au bûcher à l'aube." Deux mondes s'opposent. Désir et abandon, d'une part, dont sont capables les gens de la nuit, "les buveurs, les poètes, les amants", "peuple de relégués, de condamnés à mort" ; certitudes et volonté de gloire, de puissance et d'argent, d'autre part, dont témoignent les gens du jour, apeurés par la nuit, leur faiblesse.

La dernère phrase de l'ouverture est magnifique et donne la note: "Alors tu souffres, perdu dans un crépuscule infini, un pied dans le jour et l'autre dans la nuit."

 

A la lecture de cet incipit, on comprend que la citation de Kipling mise en exergue sonne comme un avertissement:

 

"Puisque ce sont des enfants, parle-leur de batailles et de rois, de chevaux, de diables, d'éléphants et d'anges, mais n'omets pas de leur parler d'amour et de choses semblables." (Kipling, introduction d'Au hasard de la vie).

 

Jour, nuit. Parole, fabula. Notre roman nous plonge alors dans l'histoire fabuleuse du pont de la Corne d'Or, dans la Constantinople du sultan Bajazet (ou Bayazid) qui appelle auprès de lui le Florentin Michel-Ange après avoir repoussé les projets de son aîné, Léonard de Vinci.

 

Défi pour Michel-Ange, ce projet est le sujet central de l'intrigue où l'on voit se mêler désirs, sentiments, génie créateur, relations entre puissants et artistes, rivalités entre artistes, faiblesses de l'homme qui reste dans la mémoire de l'humanité comme un homme fort, père d'une oeuvre magistrale admirée par l'humanité entière...

 

J'ai beaucoup aimé les chapitres qui donnent voix à l'objet du désir de Michel-Ange. Ce sont de petits bijoux qui donnent une respiration au texte et préparent la scène finale. L'analyse du désir refoulé de Michel-Ange et son rapport avec la force créatrice du maître me semblent très intéressants. La fable du sultan, du vizir et de la servante devenue reine (pages 96-98) me touche particulièrement: amour passionnel entre deux puissants, jalousie-trahison du vizir, envoi par le sultan d'un poème d'amour calligraphié à son ancien amant ému qui trahit les chrétiens avant de tomber sous le coup de son amant retrouvé, le sultan.

 


 

 Passages qui m'ont plu:

  • "Le dessin de Léonard de Vinci est ingénieux. Le dessin de Léonard de Vinci est si novateur qu'il effraie. Le dessin de Léonard de Vinci n'a aucun intérêt car il ne pense ni au sultan, ni à la ville, ni à la forteresse. D'instinct, Michel-Ange sait qu'il ira bien plus loin, qu'il réussira, parce qu'il a vu Constantinople, parce qu'il a compris que l'ouvrage qu'on lui demande n'est pas une passerelle vertigineuse, mais le ciment d'une cité, de la cité des empereurs et des sultans. Un pont militaire, un pont commercial, un pont religieux. Un pont politique." (page 35)
  • "l'horloge humaine du muezzin" (page 36)
  • "Michel-Ange sait que c'est en dessinant que les idées viennent; il trace inlassablement des formes, des arcs, des piles." (page 57)
  • "Le dessin de Vinci l'obsède. Il est vertigineux, et pourtant erroné. Vide. Sans vie. Sans idéal. Décidément Vinci se prend pour Archimède et oublie la beauté. La beauté vient de l'abandon du refuge des formes anciennes pour l'incertitude du présent. Michel-Ange n'est pas ingénieur. C'est un sculpteur. On l'a fait venir pour qu'une forme naisse de la matière, se dessine, soit révélée."(page 57)
  • "Je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, leur peur dans l'amour; au vide, ils répondent en construisant des châteaux et des temples. Ils s'accrochent à des récits, ils les poussent devant eux comme des étendards; chacun fait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage. On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois, d'éléphants et d'êtres merveilleux; en leur racontant le bonheur qu'il y aura au-delà de la mort, la lumière vive qui a présidé à leur naissance, les anges qui leur tournent autour, les démons qui les menacent, et l'amour, l'amour, cette promesse d'oubli et de satiété. Parle-leur de tout cela et ils t'aimeront; ils feront de toi l'égal d'un dieu. Mais toi tu sauras, puisque tu es ici tout contre moi, toi le Franc malodorant que le hasard a mené sous mes mains, tu sauras que tout cela n'est qu'un voile parfumé cachant l'éternelle douleur de la nuit." (pages 66-67)

 

 

 

Note historique: l'auteur précise dans une note finale que l'invitation du sultan est attestée; tout comme le dessin de Léonard de Vinci pour un pont sur la Corne d'Or, conservé au musée de la Science à Milan; mais également l'esquisse Projet d'un pont pour la Corne d'Or attribuée à Michel-Ange, récemment découverte dans les archives ottomanes. L'histoire du sultan et du vizir andalous correspond à un épisode de la biographie mouvementée d'Al-Mu'tamid, dernier prince de la taifa de Séville. La dague de damas noir rehaussé d'or -que je n'évoque pas dans mon compte rendu- est exposée dans une vitrine du trésor de Topkapi. Bayazid II et son vizir Ali Pacha ont bien existé. Le tremblement de terre qui frappa Istanbul en 1509 est malheureusement réel, et ses dégâts aussi.

 


 

 

 

  •  Les identités meurtrières, Amin MAALOUF, 1998.

 

J'ai croisé cet auteur dans la bibliothèque de mon enfance car ma soeur avait lu Léon l'Africain. Voilà quelques semaines déjà, l'animatrice de l'atelier des Plumes alertes, Monique, nous recommandait la lecture des oeuvres d'Amin MAALOUF, nouvellement élu à l'Académie française. J'ai parcouru alors sa bibliographie: plusieurs oeuvres ont attiré mon attention, et tout particulièrement Les identités meurtrières, précisément sans doute parce que cette réflexion autour de l'identité m'anime aussi depuis plusieurs années. C'est en flânant dans une librairie avant de monter dans un TGV Atlantique que je suis tombé sur Les Identités meurtrières: je m'attendais à un roman, il s'agit d'un très bel essai sur la notion d'identité. La réflexion porte aussi, on s'en doute, sur l'altérité. L'histoire d'Amin Maalouf, qui a vécu près de 30 ans au Liban où il est né et a grandi, puis autant en France, laisse à penser la profondeur et la richesse de l'analyse. Quoi de meilleur que ce livre pour comprendre le monde actuel, pour traverser l'Histoire, comprendre le rapport entre les civilisations, les religions et les langues. L'auteur ne recule pas devant la complexité des questions abordées. Hymne à l'universalité, à la richesse d'identités singulères capables de se rencontrer et de partager, cet essai me paraît une lecture essentielle.

 

L'essai est très lisible. Il se découpe en quatre parties et un épilogue.

 

  1. Mon identité, mes appartenances.
  2. Quand la modernité vient de chez l'autre.
  3. Le temps des tribus planétaires
  4. Apprivoiser la panthère.


Passages qui m'ont plu:

 

 

 

1.Mon identité, mes appartenances.

 

 

  • "S'ils ont le sentiment que "les autres" constituent une menace pour leur ethnie, leur religion ou leur nation, tout ce qu'ils (les hommes) pourraient faire afin d'écarter cette menace leur paraît parfaitement légitime; même lorsqu'ils en arrivent à commettre des massacres, ils sont persuadés qu'il s'agit là d'une mesure nécessaire pour préserver la vie de leurs proches. Et comme tous ceux qui gravitent autour d'eux partagent ce sentiment, les massacreurs ont souvent bonne conscience, et s'étonnent de s'entendre appeler criminels. Criminels, ils ne peuvent pas l'être , jurent-ils, puisqu'ils cherchent seulement à protéger leur vieille mère, leurs frères et soeurs, et leurs enfants."

 

  • "A ceux qui ont souffert de l'arrogance coloniale, du racisme, de la xénophobie, nous pardonnons les excès de leur propre xénophobie, et nous nous désintéressons par là même du sort de leurs victimes, du moins tant que le sang n'a pas coulé à flots."

 

  • "Tous les massacres qui ont eu lieu au cours des dernières années, ainsi que la plupart des conflits sanglants, sont liés à des "dossiers" identitaires complexes et fort anciens; quelquefois les victimes sont désespérement les mêmes, depuis toujours; quelquefois, les rapports s'inversent, les bourreaux d'hier deviennent victimes et les victimes deviennent bourreaux. Il faut dire que ces mots eux-mêmes n'ont un sens que pour les observateurs extérieurs; pour ceux qui sont directement impliqués dans ces conflits identitaires, pour ceux qui ont souffert, pour ceux qui ont eu peur, il y a simplement "nous" et "eux", l'injure et la réparation, rien d'autre! "Nous" sommes forcément, et par définition, victimes innocentes, et "eux" sont forcément coupables, coupables depuis longtemps, et quoi qu'ils puissent endurer à présent.
    Et lorsque notre regard, je veux dire celui des observateurs extérieurs, se mêle à ce jeu pervers,lorsque nous installons telle communauté dans le rôle de l'agneau, et telle autre dans le rôle du loup, ce que nous faisons, à notre insu, c'est d'accorder par avance l'impunité au crime des uns. On a même vu, dans des conflits récents, certaines factions commettre des atrocités contre leur propre population parce qu'elles savaient que l'opinion internationale accuserait spontanément leurs adversaires."

 

  • "A l'ère de la mondialisation, avec ce brassage accéléré, vertigineux, qui nous enveloppe tous, une nouvelle conception de l'identité s'impose -d'urgence! Nous ne pouvons nous contenter d'imposer aux milliards d'humains désemparés le choix entre l'affirmation outrancière de leur identité et la perte de toute identité, entre l'intégrisme et la désintégration. Or c'est bien cela qu'implique la conception qui prévaut encore dans ce domaine. Si nos contemporains ne sont pas encouragés à assumer leurs appartenances multiples, s'ils ne peuvent concilier leur besoin d'identité avec une ouverture franche et décomplexée aux cultures différentes, s'ils se sentent contraints de choisir entre la négation de soi-même et la négation de l'autre, nous serons en train de former des légions de fous sanguinaires, des légions d'égarés."

 

  • "La sagesse est un chemin de crête, la voie étroite entre deux précipices, entre deux conceptions extrêmes. En matière d'immigration, la première de ces conceptions extrêmes est celle qui considère le pays d'accueil comme une page blanche où chacun pourrait écrire ce qu'il lui plaît, ou, pire, comme un terrain vague où chacun pourrait s'installer avec armes et bagages, sans rien changer à ses gestes ni à ses habitudes. L'autre conception considère le pays d'accueil comme une page déjà écrite et imprimée, comme une terre dont les lois, les valeurs, les croyances, les caractéristiques culturelles et humaines auraient été déjà fixées une fois pour toutes, les immigrants n'ayant plus qu'à s'y conformer. (...)Les hommes de bon sens avanceront d'un pas vers l'évident terrain d'entente, à savoir que le pays d'accueil n'est ni une page blanche, ni une page achevée, c'est une page en train de s'écrire."

 

  • "Le maître mot (...) est réciprocité: si j'adhère à mon pays d'adoption, si je le considère mien, si j'estime qu'il fait partie de moi et que je fais partie de lui, et si j'agis en conséquence, alors je suis en droit de critiquer chacun de ses aspects; parallèlement, si ce pays me respecte, s'il reconnaît mon apport, s'il me considère, avec mes particularités, comme faisant désormais partie de lui, alors il est en droit de refuser certains aspects de ma culture qui pourraient être incompatibles avec son mode de vie ou avec l'esprit de ses institutions."

 

 

2.Quand la modernité vient de chez l'autre.

 

  • "En Russie (...) il a fallu attendre la révolution blochevique pour qu'on renonce enfin au vieux calendrier julien. Parce qu'en s'alignant sur le calendrier grégorien, on avait le sentiment d'admettre que, dans le bras de fer quasiment millénaire entre l'orthodoxie et le catholicisme, c'est celui-ci qui avait eu le dernier mot."
  • "La modernisation devient supecte dès lors qu'elle est perçue comme le cheval de Troie d'une culture étrangère dominatrice."
  • [à propos du vice-roi d'Egypte Méhémet-Ali qui voulut imiter l'Europe, faisant appel à des médecins européens pour fonder une faculté au Caire, confiant le commandement de son armée à un ancien officier de Napoléon et accueillant même des utopistes français (les saints-simoniens) pour qu'ils tentent en Egypte les expériences audacieuses dont l'Europe ne voulait pas, défait par une Angleterre soucieuse de préserver la route des Indes] "La conclusion que les Arabes tirèrent et tirent encore de cet épisode, c'est que l'Occident ne veut pas qu'on lui ressemble, il veut seulement qu'on lui obéisse."
  • [même histoire avec la guerre de l'opium en Chine, la question qui se pose est celle-ci: comment nous moderniser sans perdre notre identité?]

 

3.Le temps des tribus planétaires

 

  • Dans la troisième partie, Amin Maalouf s'interroge sur le regain de l'affirmation religieuse, appartenance mise en avant. Il y voit un refuge identitaire et un refuge spirituel, point de ralliement évident pour tous ceux qui se battaient contre le communisme (Pologne, Afghanistan,etc.) D'une manière générale, Amin Maalouf considère à propos des jeunes arabes qui entrent à l'université que, faute d'une offre politique adéquate,  "tous ceux qui ne sont pas nés avec une limousine sous le balcon, tous ceux qui ont envie de secouer l'ordre établi, tous ceux que révoltent la corruption, l'arbitraire étatique, les inégalités, le chômage, l'absence d'horizon, tous ceux qui ont de la peine à trouver leur place dans un monde qui change vite sont tentés par la mouvance islamiste. Ils y assouvissent à la fois leur besoin d'identité, leur besoin d'insertion dans un groupe, leur besoin de spiritualité, leur besoin de déchiffrage simple de réalités trop complexes, leur besoin d'action et de révolte."

 

  • Amin Maalouf de présenter les trois étapes successives du parcours de l'humanité selon l'historien britannique Arnold Toynbee (1973):
  1. préhistoire: communications lentes, progrès de la connaissance très lents. Les sociétés humaines avaient sensiblement le même degré d'évolution et d'innombrables caractéristiques communes.
  2. l'Histoire:développement des connaissances bien plus rapide que leur propagation. Sociétés deviennent de plus en plus différenciées.
  3. notre époque: les connaissances progressent, certes, de plus en plus vite, mais la propagation des connaissances va bien plus vite encore si bien que les sociétés humaines vont se retrouver de moins en moins différenciées...
  • "Jamais les hommes n'ont eu autant de choses en commun, autant de connaissances communes, autant de références communes, autant d'images, autant de paroles, autant d'instruments partagés, mais cela pousse les uns et les autres à affirmer davantage leur différence." Amin Maalouf de voir dans la montée du religieux, plus qu'une simple réaction, peut-être une tentative de synthèse entre le besoin d'identité et l'exigence d'universalité.
  • Amin Maalouf de considérer alors que si le Dieu du "comment?" s'estompera un jour, le Dieu du "pourquoi?" ne mourra jamais et d'écrire: "Je ne rêve pas d'un monde où la religion n'aurait plus de place, mais d'un monde où le besoin de spiritualité serait dissocié du besoin d'appartenance (...) Séparer l'Eglise de l'Etat ne suffit plus; tout aussi important serait de séparer le religieux de l'identitaire. Et justement, si l'on veut éviter que cet amalgame ne continue à alimenter fanatisme, terreur et guerres ethniques, il faudrait pouvoir satisfaire d'une autre manière le besoin d'identité (...) L'évolution actuelle pourrait favoriser, à terme, l'émergence d'une nouvelle approche de la notion d'identité. Une identité qui serait perçue comme la somme de toutes nos appartenances, et au sein de laquelle l'appartenance à la communauté humaine prendrait de plus en plus d'importance, jusqu'à devenir un jour l'appartenance principale, sans pour autant effacer nos multiples appartenances particulières."

 

  • "En somme, chacun d'entre nous est dépositaire de deux héritages: l'un, "vertical", lui vient de ses ancêtres, des traditions de son peuple, de sa communauté religieuse; l'autre, "horizontal", lui vient de son époque, de ses contemporains. C'est ce dernier qui est, me semble-t-il, le plus déterminant, et il le devient un peu plus encore chaque jour; pourtant, cette réalité ne se reflète pas dans notre perception de nous-mêmes. Ce n'est pas de l'héritage "horizontal" que nous nous réclamons, mais de l'autre (...) Il y a un fossé entre ce que nous sommes et ce que nous croyons être. A vrai dire, si nous affirmons avec tant de rage nos différences, c'est justement parce que nous sommes de moins en moins différents." Maalouf d'opposer alors deux possibilités: l'universalité et l'uniformité. Pour Maalouf , "tout ce qui concerne les droits fondamentaux -droit de vivre en citoyen à part entière sur la terre de ses pères sans subir aucune persécution ni discrimination; droit de vivre, où qu'on se trouve, dans la dignité; droit de choisir librement sa vie, ses amours, ses croyances, dans le respect de la liberté d'autrui; droit d'accéder sans entraves au savoir, à la santé, à une vie décente et honorable,etc.- tout cela ne peut être dénié à nos semblables sous prétexte de préserver une croyance, une pratique ancestrale ou une tradition. Dans ce domaine, il faut tendre vers l'universalité, et même, s'il le faut, vers l'uniformité, parce que l'humanité, tout en étant multiple, est d'abord une (...) Parallèlement au combat pour l'universalité des valeurs, il est impératif de lutter contre l'uniformisation appauvrissante, contre l'hégémonie idéologique ou politique ou économique ou médiatique, contre l'unanimisme bêtifiant, contre tout ce qui bâillonne les multiples expressions linguistiques, artistiques, intellectuelles." Maalouf d'évoquer les traditions culinaires, la culture quotidienne, la musique..et de se refuser à négliger le risque d'hégémonie et d'uniformisation.

 

4.Apprivoiser la panthère.

 

Dans cette dernière partie, Amin Maalouf essaye de comprendre de quelle manière la mondialisation exacerbe les comportements identitaires et de quelle manière elle pourrait un jour les rendre moins meurtriers. "Apprivoiser la panthère" devait être le second titre des Identités meurtrières: métaphore animale pour parler de la mondialisation, capable de tuer et de détruire, qu'il est possible néanmoins d'apprivoiser.

 

 Là encore Maalouf met en avant le principe de réciprocité, rappelle que l'identité est d'abord une affaire de symboles et même d'apparences. Il parle même d'un "fil d'appartenance" qui le lierait à des personnes qui porteraient un nom aux consonnances familières, de la même couleur de peau, qui auraient les mêmes affinités, voire les mêmes infirmités, dans une assemblée. Ecrivant cela, il a aussitôt conscience de l'imminence d'un écueil et parle de "pratiques équilibristes" qui peuvent parfois aider à faire reculer les préjugés raciaux ou ethniques ou autres, mais qui contribuent souvent aussi à les perpétuer!

L'auteur d'évoquer alors une observation paradoxale et juste: "tout le monde, à notre époque, se sent un peu minoritaire, et un peu exilé." Ce paradoxe est illustré ainsi: "Aux yeux du reste du monde, Timothy Mc  Veigh et ses acolytes ont exactement le profil ethnique de ceux qui sont censés dominer la planète et tenir notre avenir dans leurs mains; à leurs propres yeux, ils ne sont  qu'une espèce en voie de disparition, qui n'a plus d'autre arme que le terrorisme le plus meurtrier."

 

L'essai aborde enfin la question de la langue, élément majeur de l'identité, comme la religion à ceci près que la langue n'a pas  vocation à être exclusive. A propos du besoin d'une langue identitaire, Maalouf analyse très justement la situation de l'Algérie ensanglantée par un fanatisme qui s'explique par une frustration liée à la langue plus encore qu'à la religion.

Maalouf d'invoquer la nécessité de proclamer le droit de tout homme à parler sa langue identitaire. Il prend aussitôt conscience des problèmes d'unité et de compréhension que cela peut poser. "Si les langues ne sont pas nées égales, elles ont toutes également droit au respect de leur dignité. Du point de vue du besoin d'identité, la langue anglaise et la langue islandaise remplissent exactement le même rôle; c'est lorsqu'on envisage l'autre fonction de la langue, celle d'instrument d'échange, qu'elles cessent d'être égales."

L'exemple islandais n'est pas choisi au hasard car en Islande, tous les sites sont en islandais et la plupart comportent une option permettant de passer à la version anglaise, voire proposent une troisième langue. L'Islande investit dans les traductions et permet ainsi de préserver sa langue identitaire tout en assurant la facilité des échanges avec l'extérieur. L'auteur d'observer que si l'Union européenne investit beaucoup dans les traductions aussi, dans les faits, l'anglais domine. Amin Maalouf d'en appeler à une action volontaire qui consoliderait la diversité linguistique : apprendre trois langues devrait être obligatoire (langue identitaire, une deuxième langue librement choisie, et l'anglais).

 

Maalouf de terminer en évoquant les limites de la "formule" libanaise ou belge car le communautarisme est comme toute pratique discriminatoire dangereux. Méfiance à l'égard des quotas, méfiance à l'égard du jugement réputé infaillible de la majorité (Au Rwanda, les Hutus représentent 90% de la population, les Tutsis 10%). Ce qui est sacré dans les démocraties, ce sont les valeurs, pas les mécanismes. La dignité des êtres humains, de tous les êtres humains, femmes, hommes et enfants, quelles que soient leurs croyances, leurs ethnies, leur couleur ou leur importance numérique. Le mode de scrutin doit être adapté à cette exigence.

 

 

Epilogue:

 

  • "Chacun d'entre nous devrait être encouragé à assumer sa propre diversité, à concevoir son identité comme étant la somme de ses diverses appartenances, au lieu de la confondre avec une seule, érigée en appartenance suprême(...) De la même manière, les sociétés devraient assumer, elles aussi, les appartenances multiples qui ont forgé leur identité à travers l'Histoire, et qui la cisèlent encore; elles devraient faire l'effort de montrer, à travers des symboles visibles, qu'elles assument leur diversité, afin que chacun puisse s'identifier à ce qu'il voit autour de lui, que chacun puisse se reconnaître dans l'image du pays où il vit, et se sente encouragé à s'y impliquer plutôt que de demeurer, comme c'est trop souvent le cas, un spectateur inquiet, et quelquefois hostile."
  • "Il faudrait faire en sorte que personne ne se sente exclu de la civilisation commune qui est en train de naître, que chacun puisse y retrouver sa langue identitaire, et certains symboles de sa culture propre, que chacun, là encore, puisse s'identifier, ne serait-ce qu'un peu, à ce qu'il voit émerger dans le monde qui l'entoure, au lieu de chercher refuge dans un passé idéalisé. Parallèlement, chacun devrait pouvoir inclure, dans ce qu'il estime être son identité, une composante nouvelle, appelée à prendre de plus en plus d'importance au cours du nouveau siècle, du nouveau millénaire: le sentiment d'appartenir aussi à l'aventure humaine."

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Pimp: mémoires d'un maquereau, Iceberg Slim, 1969, 1987.

 

Sexe, drogue, fric, violence et prison...Voici un roman américain qu'on pourrait situer aux antipodes de lectures sérieuses comme Proust et Luminet. Il a pourtant toute sa place dans ma bibiothèque idéale. Robert Beck (1918-1992) a été l'un des plus célèbres proxénètes de Chicago dans les années 1940-1950. Pour sortir du ghetto, il choisit une carrière d'écrivain. Ce roman est donc autobiographique et signé Iceberg Slim, surnom du proxénète réputé pour sa froideur, sa force mentale. Les thèmes font penser à Edward Bunker. Le désir de revanche (familiale, sociale et raciale) domine une narration souvent crue qui donne à voir les réalités d'un univers sordide, violent. Le narrateur n'en manque pas moins d'humour parfois et la traduction de Jean-François Ménard laisse penser qu'argot et vocabulaire recherché se côtoient sous la plume d'Iceberg Slim.

 

Le roman s'ouvre sur une autocitation mise en exergue qui donne le ton, un avertissement qui rassurera le bourgeois, un avant-propos qui est aussi une citation d'un passage du roman qu'on s'étonne de retrouver bien plus tard.

 

"Un mac est heureux quand ses filles rigolent. C'est la preuve qu'elles sont toujours sous sa coupe...Toutes les putes ont quelque chose de commun: à l'image des minus qui triment pour un patron blanc, elles sont folles de joie quand leur mac commet des erreurs. Elles l'observent et attendent sa chute.

 

Le mac est le salopard le plus seul de la terre. Il a l'obligation de tout savoir de ses putes. Mais il doit veiler à ce qu'elles ne sachent rien de lui. Il faut qu'il reste toujours un dieu pour elles."

 

Comme le récit est chronologique, les traumatismes de l'enfance inaugurent un roman placé d'emblée sous le signe du sexe, de l violence et de l'abus. Bien des figures  -mère, père et beau-père, les putes évidemment, les macs parmi lesquels Sweet,..- marquent un récit dans lequel on voit Young Blood  (Slim Lancaster) apprendre les règles du métier et devenir progressivement Iceberg Slim (chapitre 13).

 

Un livre qui se dévore et donne à réfléchir..

 

 

 

  • Le Bâton d'Euclide, Jean-Pierre Luminet, 2002.

 

 

Roman de la bibliothèque d'Alexandrie: roman car certains personnages sont des êtres fictifs et l'intrigue romanesque permet plus de souplesse à un auteur particulièrement érudit -il s'inspire largement de La véritable Histoire de la bibliothèque d'Alexandrie de Luciano Canfora- toujours soucieux d' "être plausible" (cf postface).

L'auteur est astrophysicien, directeur de recherche au CNRS; il a pour souci d'établir des liens entre les sciences et les lettres et il y parvient d'autant mieux qu'il nous plonge dans une histoire pluriséculaire qui va des Grecs aux Arabes. Les talents littéraires, le style comme la construction de ce roman ne sont pas les atouts d'un livre pourtant remarquable qui nous plonge en 642 -20 ans après l'hégire (Mahomet quitte La Mecque pour Médine, année de la migration, départ du calendrier musulman)quand les troupes du général Amrou investissent Alexandrie. Elles doivent brûler le million de livres que recèle la célèbre bibliothèque car à Médine, le calife Omar lui a donné l'ordre d'éliminer tout ce qui va à l'encontre de l'Islam.

Le roman se présente donc comme un ensemble de récits dialogués narrant l'histoire de la Bibliothèque et de ses illustres hôtes dans le but d'armer le général d'arguments qui dissuaderont le calife Omar de détruire ce temple du savoir universel.

 

Un récit-cadre présente donc la situation en 642: elle met en scène un philosophe (Philopon, le bibliothécaire), un médecin (Rhazès), une mathématicienne (Hypatie) et ...le général Amrou.

 

Une seconde partie permet de se familiariser avec Euclide, Archimède, Aristarque de Samos, Ptolémée et d'autres grandes figures intellectuelles qui marquent l'histoire de la Bibliothèque.

 

Une troisième partie nous replonge en 642 pour rapporter le message d'Amrou au calife et la décision d'Omar ainsi que ses conséquences.

 

Un épilogue fait dialoguer Faust et Copernic.

 

Le bâton d'Euclide sert de témoin entre les époques.

 

 

Ce qui suit révèle les principaux éléments de l'intrigue:

 

Pour convaincre le calife Omar par le truchement du général Amrou, le bibliothécaire Philopon et ses acolytes lui racontent l'histoire de la bibliothèque et les richesses qu'elle contient..

L'histoire commence donc près de mille ans plus tôt, en -331 à la fondation de la ville par Alexandre le Grand, élève d'Aristote comme Ptolémée le premier, le meilleur général d'Alexandre qui régna sur l'Egypte à la mort du "maître des quatre parties du monde", sous le nom de Ptolémée Ier Sôter, le Sauveur. C'est lui qui fonda la Bibliothèque. Il accueille un ancien condisciple, Démétrios, auquel il confie l'administration du "Musée", le plus vaste temple d'Alexandrie, consacré aux Muses, aux arts et aux sciences que ces déesses du rythme et du nombre représentent. D'emblée il s'agit de constituer une Bibliothèque centrale possédant toute la littérature mondiale connue. Notons ici que le Musée ne contenait pas seulement la Bibiothèque mais aussi des salles pour les dissections, un zoo, un jardin botanique...

Démétrios reçoit d'Athènes les textes d'Euripide, de Sophocle et d'Eschyle qu'il fait recopier avant de restituer les originaux à Athènes. Tout bateau qui fait escale à Alexandrie fait l'objet d'un ordre de réquisition des livres pour copie et restitution. C'est ainsi qu'est constituée la "bibliothèque des vaisseaux", la première collection du Musée, alimentée par le fonds des navires.

Démétrios appelle tous les savants et les érudits à Alexandrie et leur propose de vivre et d'étudier au sein du temple des Muses. Rien ne viendra entraver la liberté de la recherche, ni la religion, ni la politique. Seule condition requise: qu'ils viennent avec leurs livres!

Démétrios, grand prêtre de Sérapis -divinité gréco-égyptienne, mélange de Dionysos et d'Osiris, va manquer à sa mission quand il va s'opposer à la volonté de Ptolémée de recueillir et de traduire le livre qui parle d'un Dieu unique et universel: la Torah. Il voit dans cette religion monothéiste une menace potentielle.

Ptolémée fait venir de Jérusalem"les Septante", 72 rabbins, en échange de l'affranchissement des juifs restés en esclavage en Egypte. Enfermés sur l'île de Pharos au moment de la construction du Phare (future septième merveille du monde) pour traduire en grec la Torah, "les Septante" qui étaient isolés chacun dans une cellule rendent leurs traductions, identiques à l'iota près. Un miracle..

Voici à présent une galerie des portraits qui sont présentés à Amrou:

 

  • Euclide le géomètre vient ainsi à Alexandrie, avec ses Eléments en poche. Son oeuvre doit tout aux philosophes selon lui, à Aristote et aux syllogismes. A son tour, il formule des majeurs indémontrables et pourtant évidents, comme le fameux postulat: "par un point situé hors d'une droite, on ne peut mener qu'une parallèle à cette droite."

Euclide use d'un bâton avec lequel il trace des figures sur la plage, lieu habituel où il donne ses cours. Il parvient à s'imposer et à faire comprendre que l'expérience doit toujours l'emporter sur la controverse théologique, l'observation physique sur la spéculation philosophique. Il laisse à la Bibiothèque des écrits limpides sur l'astronomie, l'optique (utiles pour le phare d'Alexandrie), la musique.

Ptolémée II Philadelphe succède alors à Ptolémée Ier. Athènes, longtemps capitale intellectuelle du monde, cède le pas à Alexandrie.

 

Avant de disparaître d'Alexandrie, Euclide lègue son bâton au meilleur de ses disciples: l'astronome Aristarque de Samos.

 

  • Aristarque de Samos  (vers -270) publie le résultat de ses recherches dans Les Grandeurs et les Distances du Soleil et de la Lune, traité qui sert d'introduction à une oeuvre révolutionnaire à son époque: L'Hypothèse dans laquelle il déduit des distances considérables entre la Terre -alors réputée centre de l'Univers- la Lune et le Soleil ...que c'est la Terre qui tourne autour du Soleil, ce qui lui vaut un procès.

 

 

  •  Archimède: Hiéron, tyran de Syracuse, somme Archimède de se rendre à Alexandrie où il doit assurer la défense d'Aristarque de Samos. Il s'agit surtout de trouver en Ptolémée II Philadelphe un allié le moment venu. La Sicile, grecque comme Alexandrie, est prise en tenaille entre Rome et Carthage. Archimède s'est déjà rendu à Alexandrie pour suivre des cours et consulter les ouvrages d'Euclide. Mais à chaque fois, il s'en est retourné dans sa patrie. Fantaisiste, il envoie de faux théorèmes à ses collègues alexandrins ou leur soumet des problèmes presque impossibles à résoudre pour mieux se dérober à leurs invitations. Quand Hiéron le somme de se rendre à Alexandrie, il y va. (fiction) Ptolémée II Philadelphe cherche à le retenir, à lui faire oublier sa patrie. Finalement, le procès d'Aristarque de Samos n'a pas lieu. Il s'exile et Archimède rentre à Syracuse avec l'assurance de l'alliance égyptienne pour Syracuse. Hiéron choisira Carthage. Rome l'emporte et Archimède meurt sous le fer romain.

 

  •  Eratosthène de Cyrène:  Ptolémée III Evergète ("le bienfaiteur") charge Apollonios de Rhodes, l'auteur des Argonautiques, et Eratosthène de Cyrène, de devenir bibliothécaires. Inventeur de la méthode du crible pour trouver les nombres premiers, il répertorie nombre d'étoiles et est le premier à calculer la circonférence de la Terre, grâce au théorème de l'égalité des angles alternes-internes. Véritable inventeur de la géographie, près de trois siècles et demi avant Ptolémée.

 

 

  • Aristophane de Byzance: inventeur du dictionnaire et auteur des Canons d'Alexandrie, dans lequel il propose une sélection des plus beaux textes de la littérature grecque, il dirge le Musée à l'époque où Eumène II, roi de Pergame installé par les Romains, prétend rivaliser avec Alexandrie. Les méthodes ne sont pas les mêmes (pillage, réquisitions). Eumène II prétend avoir acquis la collection complète des discours de Démosthène-célèbre orateur qui avait lutté contre l'invasion de la Grèce par Philippe de Macédoine... le père d'Alexandre. Pergame posséderait même la fin des Philippiques, pourtant réputée perdue. Si Ptolémée V Epiphane se désintéresse de cette rivalité entre bibliothèques, Aristophane de Byzance en dénonçant les méthodes de Pergame parvient à convaincre Cléopâtre Ière, qui assume la régence à la mort de Ptolémée V, car son successeur n'a que 4 ans : Ptolémée VI Philométor, "l'ami de sa mère". Cléopâtre Ière interdit l'exportation de papyrus. Eumène trouve la parade avec l'invention du parchemin (du grec pergamênê, "peau de Pergame"). La victoire de Pergame semble d'autant plus certaine qu'Alexandrie sombre dans des périodes de troubles. Le frère cadet de Ptolémée VI, surnommé Ptolémée Physcon ("Boule de Suif") profite de la mort de son frère pour empoisonner son neveu, Ptolémée VII Néos Philopator qui ne règne de ce fait que sept jours.."Boule de Suif" monte sur le trône sous le nom d'Evergète et tue l'enfant qu'il a de Cléopâtre II qui finit par l'assassiner. Durant la période de guerre civile, personne ne touche à la Bibiothèque..Pergame revient à Rome qui ne pille ni ne détruit les rouleaux de la bibiothèque de Pergame. En les recueillant, elle fait entrer le livre dans Rome et Rome dans l'Histoire. Plus tard, quand l'eunuque Pothin est bibiothécaire, à l'époque où César se mêle des affaires égyptiennes, ses détracteurs l'accusent d'avoir incendié la bibiothèque. Plus tard encore, Marc-Antoine offre à Cléopâtre VII les restes de la bibiothèque de Pergame..Après Actium, Octave devient Auguste, la république l'empire, la Bibliothèque et le Musée..propriétés de Rome. L'empereur en personne nomme désormais le bibliothécaire, rebaptisé "grand prêtre des livres".

 

  • Claude Ptolémée le Géographe, réformateur de la géographie, auteur du Planisphère: il comprend qu'après Euclide qui a traité des triangles plans, il faut maîtriser le traitement des triangles sphériques pour repérer correctement les positions sur terre. Il révolutionne la cartographie avec méridiens et parallèles. Géographe, astronome, il dresse également une carte du ciel. Sa théorie mathématique du Soleil et de la Lune lui permet de déterminer à l'avance les époques des éclipses et leurs caractéristiques. L'hypothèse héliocentrique d'Aristarque de Samos est désormais oubliée:  la Terre est au centre de l'Univers pour Ptolémée. Musicien, il élabore une théorie mathématique des sons.

 

 

 

L'ordre du calife, présenté comme jaloux d'Amrou, est sans appel: "Détruis-les tous!"

Le choix du roman a ceci de délicieux qu'il permet d'explorer différentes possibilités: livres sauvés ou combustibles des thermes d'Alexandrie? Mort d'Omar. Réhabilitation d'Amrou qui décrète que les architectes devront désormais s'inspirer du Phare pour bâtir les tours des mosquées:

 

"C'est de là-haut que, désormais, le muezzin guiderait les âmes égarées vers les lumières de la vraie foi et inviterait les fidèles à la prière. Car, selon la sourate XXIV, "Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Cette lumière est pareille à une niche avec une lampe, une lampe placée dans un cristal, un cristal semblable à un astre étincelant." C'est ainsi que l'Islam fit fleurir ses minarets* comme un millier de phares au-dessus des édifices."

 

*le terme minaret vient de l'arabe manâra, "phare".

 

L'épilogue, dialogue fictif entre Faust et Copernic, permet de discuter les hypothèses relatives à la disparition de la Bibliothèque. Si le Phare a disparu dans le tremblement de terre de 1303, la fin du Musée est attribuée à tel ou tel, selon son point de vue. Aussi faut-il se méfier de la version de La Chronique des Savants écrite par un certain Ibn al-Kifti, chiite qui tient les successeurs de Mahomet pour des usurpateurs, à commencer par Omar.

 

Qu'en est-il d'ailleurs d'Averroès, d'Avicenne et d'autres immenses savants musulmans qui ont redécouvert et traduit dans leur langue Euclide et Aristote, Platon et Ptolémée, Eratosthène et Galien?

 

Livre décidément remarquable qui laisse à réfléchir.

 

 

 

 

 

  • Du sang sur Rome, Steven Staylor

 

 Editions 10/18, Collection "Grands Détectives", 1991, 1997.


Roman policier et historique extrordinaire, premier d'une série qui met en scène un détective imaginaire, Gordien. Du sang sur Rome  propose une enquête sur un parricide commis sous la dictature de Sylla et s'appuie notamment sur une source très sérieuse: le Plaidoyer pour Sextus Roscius d'Ameria prononcé par le jeune et illustre avocat en -80: Cicéron n'a alors que 26 ans.
Captivant comme tout bon roman policier, il a l'intérêt d'être très juste historiquement. Il permet de découvrir la Rome de cette époque. On y trouve aussi des discours argumentés, écrits selon les règles de l'éloquence classique.



Mon compte-rendu, chapitre par chapitre, se veut aussi un outil d'accompagnement à la lecture.


La structure générale se compose de trois parties:

  1. Enquête (chapitres 1 à 14)
  2. Menaces (chapitres 1 à 11)
  3. Justice est faite (chapitres 1 à 8)



  • ENQUETE
  1. Tiron, esclave de Cicéron, vient chercher Gordien, le narrateur à son domicile. On découvre un détective fin observateur capable de déductions ingénieuses, autrement dit un narrateur qualifié pour mener l'enquête.
  2. Ils traversent Rome et cheminent vers la maison de Cicéron.
  3. Chez Cicéron.
  4. Entretien avec Cicéron: comment tuer son père? Faire appel à un gang dans le contexte des proscriptions semble la plus efficace et la plus discrète des solutions.
  5. Cicéron expose à Gordien le cas Sextus Roscius, soupçonné de parricide. Cicéron est persuadé de son innocence et le défendra. En face, Gaïus Erucius, homme cupide, plus soucieux de faire fortune que la lumière sur la vérité. Cicéron charge Gordien d'une mission ardue: trouver la preuve de l'innocence de Sextus Roscius, découvrir les vrais coupables, et les commanditaires éventuels ainsi que leurs mobiles, le tout en huit jours, avant les ides de mai...Gordien, qui a besoin d'argent, n'aime pas les mystères restés non élucidés, et est réputé épris de justice, accepte l'offre de Cicéron.
  6. Visite à Caecilia Metella, hôtesse de Sextus Roscius . Où l'on apprend ce qui s'est passé peu avant l'assassinat...Sextus Roscius, homme de 40 ans environ,  est assigné à résidence chez sa protectrice, Caecilia, qui fut une amie du père assassiné qui n'avait qu'un fils unique. L'assignation à résidence est exceptionnelle (le parricide est puni de la peine capitale, c'est-à-dire de a décapitation pour un homme libre, de la crucifixion pour un esclave) pour un citoyen romain inculpé (d'ordinaire ce dernier a toujours la liberté de s"enfuir s'il refuse de passer devant les tribunaux, à condition de renoncer à ses biens). Sextus quant à lui est terrorisé; il pousse des cris la nuit : il craint la mort, inéluctable, légale s'il est condamné ou crapuleuse s'il est acquitté. Cécilia Métella  est l'une des dernières personnes à avoir vu Sextus Roscius en vie: c'est chez elle  qu'il a pris son dernier repas. On apprend également que Sextus  a eu un premier enfant, Gaius, décédé trois ans plus tôt, là l'âge de  19 ou 20ans, le jour du triomphe de Sylla. Sextus père, deux jours plus tôt, aurait reçu un message de son fils Sextus l'enjoignant de le rejoindre à Ameria pour une urgence: c'est là que Gaïus, parti avec son père, serait mort d'une intoxication alimentaire. Après la mort du fils préféré, Sextus père rejette la faute sur le frère aîné, rentre à Rome où il dilapide sa fortune, tandis que son fils gère le domaine d'Ameria. Le jour de sa mort, Sextus père, ivre et richement vêtu, quitte précipitamment le domicile de son amie Cécilia dans lequel il avait plutôt tendance à s'attarder, accompagné de ses deux fidèles esclaves Chrestus et Félix.. Un messager, muni d'un gage (anneau en argent qu'un riche fait à une prostituée, quand ce n'est pas un mari à sa femme) lui a apporté ceci: "Elena te prie de le rejoindre à la Maison aux Cygnes. c'est très important." On apprend enfin que Sextus père était un habitué des lupanars, comme s'il avait voulu remplacer à tout prix le fils disparu...
  7. Où Cicéron et Gordien rencontrent Sextus Junior, le présumé parricide...Sextus nie avoir tué son père et explique que les esclaves Chrestus et Félix sont, selon toute vraisemblance, morts à l'heure qu'il est car ils ont assisté au meurtre de leur maître. Sextus rapporte à Gordien des indications précises sur le lieu du crime telles que ces esclaves les lui ont rapportées au moment où ils lui ont annoncé l'assassinat de Sextus senior.Sextus junior se trouvait à Ameria en présence de 20 personnes le soir de l'assassinat de son père. Sextus junior néanmoins se montre fataliste et assez peu coopératif, convaincu qu'il est de sa mort imminente, par assassinat ou par condamnation. Tiron quant à lui s'absente pour aller aux toilettes et ..faire l'amour avec la fille aînée de Sextus, Roscia Majora...
  8. Gordien s'en retourne chez lui.
  9. Gordien et Tiron se rendent à la Maison aux Cygnes (lupanar), sur les lieux du crime..Gordien apprend par l'épicier qui travaille là qu'il y aurait eu un témoin de l'assassinat: Pollia, une jeune veuve, aurait tout vu de sa fenêtre mais aurait demandé à ce qu'on n'en parlât plus. Manifestement, la maman de l'enfant muet ne tient pas à ce que les assassins apprennent l'existence d'un témoin..
  10. A la recherche de Pollia, prétendue témoin du meurtre...Ce sera Eco, son fils muet, qui mimera la scène..Trois personnes ont agressé Sextus dont les esclaves ont pris la fuite. Parmi ses assassins, un gaucher avec une patte folle (le chef), accompagné d'un géant blond au visage rougeaud et un barbu, qui seraient revenus quelques jours plus tard poser des questions, s'assurer qu'il n'y avait eu aucun témoin. L'épicière en fait a tout vu. Eco a bavardé avec l'épicière et a tout raconté à sa mère. Pollia n'avait rien vu mais elle a été violée par les assassins de Sextus qui l'ont menacée si elle se décidait à parler...
  11. Cauchemar..Gordien voit Tiron violant Pollia en cauchemar.
  12. A la Maison aux Cygnes...où Eléna n'est plus, mais Electra parle: Eléna était enceinte; elle a été rachetée par le grand blond et le boîteux , assassins de Sextus...
  13. Incendie à Rome.Crassus se porte acquéreur.
  14. De retour chez lui, Gordien constate qu'il a eu de la visite. Menaces...Ceux qui ont réussi à s'introduire chez Gordien ont tué son chat, Bast: avec son sang, ils ont écrit sur le mur:"TAIS-TOI OU MEURS. QUE LA JUSTICE ROMAINE SUIVE SON COURS". Bethesda, quant à elle, a pu prendre la fuite après avoir mordu l'un d'eux.
  15. Où Gordien quitte Rome pour se rendre à Améria après avoir mis en sécurité Béthesda et engagé un esclave pour surveiller sa demeure.
  • MENACES
  1.  Voyage de Gordien "en" Vespa, nom de sa monture. Halte dans une auberge de Narnia. Où l'on en sait davantage sur le blond et le boîteux. Sextus, de surcroît, aurait été proscrit...Il y a deux branches de la famille Roscius à Améria: Sextus Roscius père et fils d'une part, respectés pour avoir construit leurs fermes et consolidé leur fortine; les deux cousins, d'autre part, Magnus et Capito, avec leur clan. Mallius Glaucia, esclave de naissance, a été affranchi par Magnus. Il est blond. Déclaré ennemi de l'Etat, Sextus Roscius s'est vu confisquer ses terres, vendues aux enchères. Sextus avait treize fermes; les trois meilleures ont été prises par Capito; les autre rachetées par un homme riche venu de Rome. Glaucia est le messager qui est venu à Améria annoncer le premier la mort de Sextus à son fils.
  2. Gordien à Améria. Chapitre décisif  où l'on apprend beaucoup sur l'assassinat de Sextus. Confirmation de la proscription de Sextus. Une délégation a même été envoyée à Sylla pour soutenir pour protester contre la proscription de Sextus. Gordien apprend d'un esclave de Capito que les deux esclaves témoins du crime, Félix et Chrestus, sont rentrés à Améria après l'assassinat de leur maître pour se mettre au service de Sextus junior, avant d'être vendus avec la propriété à Capito. Ils ont depuis été donnés à l'associé romain de Capito, Chrysogonus et font partie désormais de sa maisonnée à Rome. Après avoir obtenu ces précieuses informations, Gordien s'en va chez son hôte d'Améria, Mégarus, et croise Magnus le boîteux et Glaucia le blond, en train de se rendre chez Capito.
  3. Où Gordien dîne chez Mégarus, voisin de Capito...qui a remplacé Sextus! Capito est le cousin de Sextus, Magnus (le boîteux) est le cousin de Sextus, Glaucia (le blond) est un esclave affranchi. Quant à Chrysogonus, favori de Sylla, s'est porté acquéreur des terres de Sextus. La délégation venue soutenir Sextus  a été reçue à Rome par le représentant de Sylla, un certain ..Chrysogonus! Cet homme d'une grande beauté a commencé comme esclave dans les jardins de Sylla. Mais, comme le fait remarquer Gordien "notre dictateur a le sens de l'esthétique et ne souhaite pas gâcher la marchandise. Chrysogonus est devenu son favori." Après quoi le vieil homme s'est lassé du corps de l'esclave et l'a récompensé par la liberté, les honneurs et les richesses. Au sortir de l'audience, la délégation (dont font partie Mégarus comme Capito) croit avoir obtenu satisfaction et pense que, une fois l'erreur réparée, l'héritage reviendra de droit à Sextus junior.
  4. Mégarus se propose d'aller témoigner et remet à Gordien un exemplaire de la pétition protestant contre la proscription de Sextus. La prostituée Eléna serait morte. Avant de repartir pour Rome, Gordien interroge de nouveau un esclave de Capito: Sextus était un "père terrible" pour ses filles; quant à Eléna, la prostituée qui attendait Sextus père le soir de son assassinat, elle a été conduite à Améria où elle a été violée par Magnus et Glaucia devant Capito. Elle aurait disparu dès son accouchement. Est-elle morte et enterrée aux côtés de Sextus père? Est-elle chez Chrysogonus?
  5. Gordien rentre à Rome, directement chez Cicéron. Il va ensuite chez Cécila Metella avec Rufus (beau-frère de Sylla et ami de Sextus), rendre visite à Sextus. Rufus parle à Gordien de Sylla et de Chrysogonus. Sextus, lui, reste désespéré et craint Sylla. Rufus, beau-frère de Sylla, est invité chez Chrysogonus, sur le Palatin. Sylla lui-même, fort intéressé par le jeune Rufus, a même insisté pour le voir:"Il est temps que ton éducation d'homme commence. Que ce soit parmi l'élite de Rome." Gordien l'exhorte à se rendre à l'invitation pour lui permettre de s'introduire chez Chrysogonus et d'interroger les deux esclaves témoins du meurtre. Sextus junior quant à lui ne croit pas en un succès lors du procès car "on ne peut pas attraper les puces, sans attraper le chien et le maître n'acceptera pas d'être publiquement mis en cause par un avocaillon.".
  6. Gordien rentre chez lui, protège sa maison. Pourtant, les menaces continuent..
  7. Où l'on apprend que l'on ne badine pas avec l'amour. Toutes les informations venaient de Roscia que lutine Tiron...Les deux ont d'ailleurs rendez-vous à nouveau, peu de temps avant la réception chez Chrysogonus. Gordien se demande ce qui a bien pu pousser Roscia à trahir son propre père..
  8. Où l'on apprend le bénéfice tiré par Chrysogonus et la raison de sa volonté d'anéantir Sextus...Où l'on comprend aussi  pourquoi Roscia a agi de la sorte (victime d'un inceste).
  9. Soirée chez Chrysogonus. Rufus y va seul d'abord.
  10. Tiron et Gordien s'introduisent furtivement pour interroger les esclaves de Sextus, témoins de son meurtre.  On apprend que Sextus a évité de peu la décapitation, Magnus ayant retenu le geste de Glaucia, tueur professionnel habitué à présenter la tête du proscrit pour toucher la récompense: il s'agissait surtout de faire croire non pas à un assassinat politique.
  11. Réception et spectacle chez Chrysogonus. Rappels historiques sur le passé de Sylla et son ascension. Les deux intrus sont découverts! Ils se font passer pour des esclaves de Rufus (Gordien a retiré son anneau de fer de citoyen) mais ils sont démasqués et parviennent à fuir de justesse...
  • JUSTICE EST FAITE
  1. Course pousuite haletante.Gordien, en sécurité chez Cicéron, ou assigné à résidence? Cicéron a en effet donner des ordres à ses gardes pour empêcher à Gordien de sortir: Cicéron veut protéger Gordien, fût-ce contre son gré.
  2. Gordien erre dans Rome, retourne à la Maison aux Cygnes voir Electra la prostitué pour lui apprendre la mort d'Elena et de son fils... Son fils est mort-né et Eléna est morte quelques jours plus tard, des suites de l'accouchement.
  3. Gordien rentre chez Cicéron.
  4. Le jour du procès: la parole est à l'accusation. 75 juges, choisis parmi les sénateurs sont devant la tribune aux harangues : le préteur Marcus Fannius, président du tribunal, y monte pour lire l'acte d'accusation., après s'être adressé aux juges et avoir invoqué les dieux. C'est Gaïus Erucius qui prend sa place quand le préteur rejoint le parterre de juges.Staylor de reconstituer alors la plaidoirie d'Erucius (pages 328 à 335). Qui peut croire alors qu'il n'a pas gagné son procès...?
  5. La parole est à la défense (Cicéron). Gordien s'en va uriner et manque d'être assassiné. Plaidoirie de Cicéron (pages 336-345) Glaucia, qui s'apprête à tuer Gordien aux toilettes, est surpris par Tiron qui l'assassine..
  6. Cécilia Métella donne une réception après la victoire judiciaire. Sylla rend une visite impromptue et nocturne à Cicéron...Nouveau rebondissement... Malgré un acquittement obtenu largement, Gordien s'inquiète de ce que bien des problèmes restent non résolus: les biens de Sextus restent aux mains de ses ennemis, l'assassinat de son père n'a pas été vengé...En compagnie de Sylla, on comprend que Sextus junior a empoisonné son frère Gaïus à Améria, de peur d'être déshérité par son père. Après la mort de Gaïus, Sextus sénior a pour projet de racheter la prostituée Eléna, de l'affarnchir et d'adopter son enfant. Sextus junior décide alors de tuer son père (qui a toutes les raisons de se méfier de lui) et fomente un complot avec ses cousins. Sextus mort, junior hérite ses propriétés et pense pouvoir devancer ses cousins..qui s'associent à Chrysogonus pour que la proscription vienne déshériter junior! Sextus junior tue le bébé d'Eléna dès sa naissance car c'est un ennemi potentiel. Les cousins mettent la main sur l'exemplaire de leur pacte secret qui appartient à Sextus junior: dès lors, il est sans défense, à leur merci et parvient à s'enfuir d'Améria pour regagner sa protectrice. C'est alors seulement que les cousins décident de se débarrasser de Sextus junior en faisant appel à la loi. Ils comptent sur l'effet dissuasif du nom de Chrysogonus et espère même que junior se suicidera. En réalité, si les Métellus ont décidé de protéger Sextus, c'est pour se venger de Sylla, dictateur sur le déclin, en infligeant une cuisante défaite judiciaire à celui qui  n'avait pas voulu  polluer sa maison avec la maladie de sa femme : il avait alors divorcé, laissant sa femme mourir hors de chez lui! Sextus est donc au final parricide et doublement fratricide! Sylla ne reviendra donc pas sur la proscription de Sextus senior de manière à spolier Sextus junior. Sylla fermera les yeux sur l'assassinat de Glaucia, en échange de quoi il demande à Cicéron de renoncer à d'éventuelles poursuites contre Capito et Magnus pour assassinat; de renoncer à porter plainte au sujet de Sextus sénior; de renoncer à poursuivre Chrysogonus... Sylla annonce son départ imminent de la vie publique.Arrivée soudaine de Rufus chez Cicéron: Sextus junior est mort..
  7. Comment est mort Sextus Roscius junior? Nouvelle enquête de Gordien chez Cécilia. Cécila a surpris Sextus ivre s'exclamer qu'il avait échappé à la justice alors qu'il était bien l'assassin de son père. La vieille amante de Sextus sénior assassine alors son hôte.
  8. Gordien retrouve Eco, abandonné par sa mère Pollia et décide de le ramener à la maison après lui avoir signifié que la vengeance demandée avait été exécutée...



Note sur le châtiment du parricide à Rome: (cf pages 70-71)

Voici ce que décrète la loi: dès la sentence prononcée, on emmène le parricide hors les murs, au Champ de Mars, près du Tibre. On sonne la corne et on frappe les cymbales pour appeler la population à témoin.
Une fois le peuple rassemblé, le condamné est mis à nu, comme au jour de sa naissance. Deux piédestaux à hauteur du genou sont installés côte à côte. Le parricide prend position, un pied sur chaque, et s'accroupit, les mains liées derrière le dos, de façon à ce que chaque partie du corps du corps soit livrée aux bourreaux. Ceux-ci sont chargés de le fouetter jusqu'à ce que le sang jaillisse de ses blessures, ce même sang qui coulait dans les veines de son père et lui donna la vie. Le fouet doit frapper partout, y compris sur la plante des pieds et dans les profondeurs de son entrecuisse.
On prépare un sac , assez grand pour contenir un homme. Il est cousu de peaux si finement assemblées que l'air ou l'eau ne peuvent y pénétrer. Quand les bourreaux ont achevé leur office, qu'on ne distingue plus le sang de la chair à vif, on oblige la victime à entrer à quatre pattes dans le sac. Celui-ci sera disposé à quelque distance des piédestaux, pour permettre au peuple de le voir ramper, de lui lancer des ordures et des malédictions.
S'il refuse de s'y introduire,  son supplice recommence. Dans le sac, le parricide retourne à la matrice; il est à l'état foetal.  N'être pas né est une torture pire encore: on introduit quatre animaux vivants. D'abord un chien, l'animal le plus servile, et un coq, aux griffes et au bec spécialement acérés. Ce sont des symboles de la plus haute Antiquité: le chien et le coq, le gardien et le veilleur, gardiens de la lignée. Ayant failli à leur mission de protection, ils prennent place auprès de l'accusé. On ajoute un serpent, le principe mâle, capable de tuer tout en donnant la vie; puis un singe, la plus cruelle parodie de l'homme.
Tous les cinq sont cousus ensemble et portés sur la berge. On ne doit ni rouler le sac, ni le frapper avec des bâtons: les animaux doivent rester en vie le plus longtemps possible pour tourmenter le parricide. Tandis que les prêtres profèrent les imprécations finales, on jette le sac dans le Tibre. Des vigiles sont postés jusqu'à Ostie. Si le sac échoue sur la rive, on le repousse dans le courant, jusqu'à ce qu'il atteigne la mer où il est emporté.
Le parricide détruit la source même de sa vie; il la terminera privé des éléments vitaux. La terre, l'air, l'eau, même la lumière lui sont déniés. Jusqu'à la fin où le sac se déchire, livrant ses dépouilles à Neptune, puis à Pluton. Loin de la pitié, de la mémoire, et même du dégoût de l'humanité.

 

  • Le Petit prince, Antoine de Saint-Exupéry


Très beau livre sur l'amitié, très belle fable connue de beaucoup à juste titre, Le Petit prince fait partie de ces livres qu'on devrait relire régulièrement dans sa vie. De même que j'admire chez Tournier la capacité qu'il a à s'adresser aux enfants comme aux adultes, Saint-Exupéry aurait pu écrire à la manière de La Fontaine: "Je me sers d'un petit prince pour faire méditer les hommes".

Quelques passages qui m'ont plu:


"Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c'est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications."

"S'il vous plaît ...dessine-moi un mouton".


"J'ai de sérieuses raisons de croire que la planète d'où venait le petit prince est l'astéroïde B612. Cet astéroïde n'a été aperçu qu'une seule fois au télescope, en 1909, par un astronome turc.Il avait fait alors une grande démonstration de sa découverte à un Congrès International d'Astronomie. Mais personne ne l'avait cru à cause de son costume. Les grandes personnes sont comme ça. Heureusement pour la réputation de l'astéroïde B612 un dictateur turc imposa à son peuple, sous peine de mort, de s'habiller à l'européenne. L'astronome refit sa démonstration en 1920, dans un habit très élégant. Et cette fois-ci, tout le monde fut de son avis."

"Si vous dites aux grandes personnes: "J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit..." elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire: "J'ai vu une maison de cent mille francs." Alors elles s'écrient: "Comme c'est joli!"

"J'aurais aimé commencer cette histoire à la façon des contes de fées. J'aurais aimé dire: "Il était une fois un petit prince qui habitait une planète à peine plus grande que lui, et qui avait besoin d'un ami..."Pour ceux qui comprennent la vie, ça aurait eu l'air beaucoup plus vrai.
Car je n'aime pas qu'on lise mon livre à la légère. J'éprouve tant de chagrin à raconter ces souvenirs. Il y a six ans déjà que mon ami s'en est allé avec son mouton. Si j'essaie ici de le décrire, c'est afin de ne pas l'oublier. c'est triste d'oublier un ami. Tout le monde n'a pas eu un ami."

  1. le roi: heureux de voir arriver un sujet,  il ordonne au petit prince de bâiller  quand celui-ci bâille, considérant que l'autorité repose d'abord sur la raison. Pour le retenir, il veut le faire ministre (de la justice) et finit par le nommer son ambassadeur quand il le voit quitter sa planète.
  2. le vaniteux: il cherche à se faire admirer.
  3. le buveur: il boit pour oublier qu'il a honte de boire.
  4. le businessman: homme très sérieux, comptant les étoiles qu'il possède pour avoir eu l'idée en premier. Le petit prince lui fait observer que : Moi, si je possède un foulard, je puis le mettre autour de mon cou et l'emporter. Moi, si je possède une fleur, je puis cueillir ma fleur et l'emporter. Mais tu ne peux pas cueillir les étoiles!                                                               -Non, mais je puis les placer en banque.                                                                                           -Qu'est-ce que ça veut dire?                                                                                                                   -ça veut dire que j'écris sur un petit papier le nombre de mes étoiles. et puis j'enferme à clef ce papier-là dans un tiroir.                                                                                                              -Et c'est tout?                                                                                                                                             -ça suffit!                                                                                                                                                      -"C'est amusant, pensa le petit prince. C'est assez poétique. Mais ce n'est pas très sérieux."
  5. l'allumeur de réverbères: "Peut-être que cet homme est absurde. Cependant, il est moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son réverbère, c'est comme s'il faisait naître une étoile de plus, ou une fleur. C'est une occupation très jolie. C'est véritablement utile puisque c'est joli."
  6. le géographe cherchant un explorateur: "Les géographies, dit le géographe, sont les livres les plus précieux de tous les livres. Elles ne se démodent jamais. Il est très rare qu'une montagne change de place. Il est très rare qu'un océan se vide de son eau. Nous écrivons des choses éternelles."...et c'est le géographe qui conseille au Petit Prince d'aller visiter la Terre: elle a une bonne réputation.
  7. la Terre: on y trouve des rois, des géographes, des businessmen, des ivrognes, des vaniteux...et avant l'invention de l'électricité, on y trouvait des allumeurs de réverbères.         Le désert et le serpent.
 Découverte  du jardin fleuri de roses: "Je me croyais riche d'une fleur unique, et je ne possède qu'une rose ordinaire. Ca et mes trois volcans qui m'arrivent au genou, et dont l'un, peut-être, est éteint pour toujours, ça ne fait pas de moi un bien grand prince..." .Et ,couché dans l'herbe, il pleura."

Le renard qui cherche à être apprivoisé:  "On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi!"

 
Le renard demande au Petit Prince de venir le voir à la même heure chaque jour: "Si tu viens, par exemple, à quatre heure de l'après-midi, dès trois heures je commencerai d'être heureux. A quatre heures ,déjà, je m'agiterai et m'inquièterai; je découvrirai le prix du bonheur! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le coeur....Il faut des rites."
 
Aux roses du jardin: "Vous êtes belles, mais vous êtes vides. On ne peut pas mourir pour vous."

L'adieu du renard: "Voici mon secret. Il est très simple: on ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux (...) C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante (...) Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose..."


L'adieu au narrateur: "Les gens ont des étoiles qui ne sont pas les mêmes. Pour les uns, qui voyagent, les étoiles sont des guides. Pour d'autres, elles ne sont rien que de petites lumières. Pour d'autres, qui sont savants, elles sont des problèmes. Pour mon businessman elles étaient de l'or. Mais toutes ces étoiles-là se taisent. Toi, tu auras des étoiles comme personne n'en a...                   -Que veux-tu dire?
-Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai l'une d'elles, puisque je rirai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire!"


  •  L'Alchimiste, Paulo Coelho, 1988, 1994.



Santiago, un jeune berger andalou, part à la recherche d'un trésor enfoui au pied des Pyramides, après avoir fait deux fois le même songe. Il va rencontrer au cours de son périple de nombreux personnages qui l'aideront à réaliser sa Légende Personnelle. Sorte de conte philosophique qui est une invitation à la confiance en soi, à la réalisation de ses rêves. Le principe est le même que dans la Conférence des oiseaux (livre auquel ce site doit beaucoup): la vérité est un cheminement semé d'embûches et d'expériences qu'il faut savoir accueillir et recueillir.

Livre court (moins de 200 pages) à relire régulièrement parce qu'il fait du bien....


Quelques passages qui m'ont plu:

  1. "..quand tous les jours sont (...) semblables les uns aux autres, c'est que les gens ont cessé de s'apercevoir des bonnes choses qui se présentent dans leur vie tant que le soleil traverse le ciel." (p41)
  2. Santiago, après avoir pris une première claque, c'est-à-dire vécu une première mésaventure (le vol de son or), tire une leçon: "Je suis comme tous les autres: je vois le monde comme je souhaiterais que les choses se produisent, et non comme elles se produisent réellement." (p55)
  3. "Personne ne doit avoir peur de l'inconnu, parce que tout homme est capable de conquérir ce qu'il veut et qui lui est nécessaire." (p97)
  4. Alors qu'il a fait la rencontre, dans une oasis, de Fatima dont il tombe aussitôt amoureux, Santiago se met à hésiter: pourquoi continuer à aller chercher un trésor au pied des Pyramides quand il a déjà richesse, puissance et amour? Il ne veut pas quitter Fatima. On a alors un très beau dialogue entre Santiago et l'Alchimiste:
-Je veux rester dans l'Oasis, répondit le jeune homme. J'ai rencontré Fatima. Et pour moi elle vaut plus que le trésor.
-Fatima est une fille du désert. Elle sait que les hommes doivent partir, pour pouvoir revenir. Elle a déjà trouvé son trésor: c'est toi. Maintenant, elle attend de toi que tu trouves ce que tu cherches.
-Et si je désire rester?
-Tu seras le Conseiller de l'Oasis. Tu possèdes assez d'or pour acheter un bon nombre de moutons et de chameaux. Tu épouseras Fatima et vous vivrez heureux pendant une première année. Tu apprendras à aimer le désert et tu connaîtras, un par un, les cinquante mille palmiers. Tu comprendras comment ils croissent et ils te feront voir un monde qui ne cesse de changer. Et alors, tu déchiffreras de mieux en mieux les signes, parce que le désert est un plus grand maître que tous les maîtres.
  La deuxième année, tu te rappelleras l'existence d'un trésor. Les signes commenceront à t'en parler avec insistance, et tu essaieras de ne pas en tenir compte. Tu te serviras de tes connaissances uniquement pour le bien de l'Oasis et de ses habitants. Les chefs de tribus t'en sauront gré. tes chameaux t'apporteront richesse et pouvoir.
   La troisième année, les signes continueront à parler de ton trésor et de ta Légende Personnelle. Tu passeras des nuits et des nuits à errer dans l'Oasis, et Fatima sera une femme triste parce que ton parcours, à cause d'elle, aura été interrompu. Mais tu continueras à l'aimer, et cet amour sera partagé. Tu te souviendras qu'elle ne t'avait jamais demandé de rester, parce que la femme du désert sait attendre le retour de son homme. Tu ne lui en voudras donc pas. Mais tu marcheras, des nuits et des nuits, dans les sables du désert, au milieu des palmiers, en pensant que tu aurais peut-être pu continuer ta route, te fier davantage à ton amour pour Fatima. Car ce qui t'aura fait rester dans l'Oasis, c'était seulement ta propre crainte de ne jamais revenir. Et, quand tu en seras là, les signes t'indiqueront que ton trésor est enfoui à jamais sous la terre.
   La quatrième année, les signes t'abandonneront, parce que tu n'auras pas voulu les entendre. Les chefs de tribus le comprendront, et tu seras destitué de ta charge au Conseil. Tu seras alors un riche commerçant, possesseur de nombreux chameaux et de marchandises en abondance. Mais tu passeras le reste de tes jours à errer au milieu des palmiers et du désert, en sachant que tu n'as pas accompli ta Légende Personnelle et qu'il sera désormais trop tard pour le faire.
   Sans avoir jamais compris que l'Amour, en aucun cas, n'empêche un homme de suivre sa Légende Personnelle. Quand cela arrive, c''est que ce n'était pas le véritable Amour, celui qui parle le Langage du Monde."(p 144-146)

   5.   " Si ce que tu as trouvé est fait de matière pure, cela ne pourrira jamais. Et tu pourras y revenir un jour. Si ce n'est qu'un instant de lumière, comme l'explosion d'une étoile, alors tu ne retrouveras rien à ton retour. Mais tu auras vu une explosion de lumière. Et cela seul aura déjà valu la peine d'être vécu." (p150)

6. "Une quête commence toujours par la Chance du Débutant. Et s'achève toujours par l'Epreuve du Conquérant."
Le jeune homme se souvint d'un vieux proverbe de son pays, qui disait que l'heure la plus sombre est celle qui vient juste avant le lever du soleil."  (p158)


7. "Quand nous avons de grands trésors sous les yeux, nous ne nous en apercevons jamais. et sais-tu pourquoi? Parce que les hommes ne croient pas aux trésors." (p160)

8. Celui qui vit sa Légende Personnelle sait tout ce qu'il a besoin de savoir. Il n'y a qu'une chose qui puisse rendre un rêve impossible: c'est la peur d'échouer." (p167)

9. "Tout ce qui arrive une fois peut ne plus jamais arriver. Mais tout ce qui arrive deux fois arrivera certainement une troisième fois." (p180)

Finalement, après avoir réussi l'Epreuve du Conquérant au pied des Pyramides, Santiago s'en retournera à son point de départ, en Espagne, où il s'en retournera riche de ses expériences de voyage, et trouvera  effectivement un trésor. Il donnera sa part à la gitane et s'en retournera retrouver Fatima....


  •  L'Ombre du vent, Carlos Ruiz ZAFON, 2001, 2004.


   Le livre s'ouvre ainsi: "Je me souviens encore de ce petit matin où mon père m'emmena pour la première fois visiter le Cimetière des Oubliés."
Le décor est planté. La quatrième de couverture nous apprend que le narrateur-Daniel Sempere- est invité à participer à un rituel étrange au cours duquel il va devoir "adopter" un livre dans ce cimetière, livre qui changera le cours de sa vie.

 

Le livre a une structure assez complexe que l'on comprend progressivement mais il est suffisamment bien écrit pour ne pas nous perdre. Les personnages sont particulièrement attachants et l'oeuvre fait à la fois penser à Hugo et à Dumas. L'inspecteur Fumero, figure du salaud, opportuniste de première, va chercher à se venger toute sa vie d'une enfance qu'il a vécue comme une humiliation. Victime d'attouchements incestueux, victime des moqueries d'enfants issus d'un milieu qui n'est pas le sien, Fumero est d'abord présenté comme le parfait salaud qui pourchasse de sa haine Julian Carax, auteur de L'Ombre du vent, le livre qu'a adopté le narrateur. Il incarne tout au long du livre la figure du méchant, nouveau Javert, soucieux de prendre sa revanche. L'image de la vengeance n'est pas celle qu'en donne Dumas dans Monte-Cristo.

Fermin est l'autre figure, celle du bon vivant qui a une histoire et des convictions: ivrogne, pauvre hère errant dans les rues de Barcelone, il va faire la connaissance de Daniel et devenir son meilleur ami et associé. Opposant au régime, poursuivi lui aussi par Fumero qui a déjà eu l'occasion de lui infliger des tortures, Fermin aime les femmes et la boisson. Capable de tout, ombre et lumière, grandeur et bassesse, figure typiquement hugolienne, Fermin sait user des costumes et des paroles pour dissimuler et parvenir à ses fins, parfois simplement survivre et satisfaire sa faim.

Daniel quant à lui est le protagoniste: il a perdu sa mère très tôt et a été élevé par son père, libraire bienveillant et affectueux qui le conduit au Cimetière des Livres Oubliés. Il tombera amoureux de plusieurs femmes et vivra surtout bon nombre d'expériences qui le feront mûrir. Son enquête sur Julian Carax, auteur de l'Ombre du vent, est l'occasion d'un véritable apprentissage de la vie, un parcours initiatique.


L'oeuvre est suffisamment complexe, longue (plus de 600 pages) et bien écrite pour receler bien d'autres personnages qui constituent un univers dans lequel on entre progressivement , avec lequel on se familiarise, un univers marquant.


Quelques passages qui m'ont plu:

  1. "...on se sent parfois plus libre de parler à un étranger qu'aux gens qu'on connaît (...) probablement parce qu'un étranger nous voit tels que nous sommes et non tels qu'il veut croire que nous sommes." (p233)
  2. Fermin, à propos de celle dont il tombe amoureux: "Bernarda m'a fait désirer devenir meilleur (...) Je veux la mériter. Vous, pour le moment, vous ne comprenez pas, vous êtes trop jeune. Avec le temps, vous verrez que parfois, ce qui compte, ce n'est pas ce qu'on a, mais ce à quoi on renonce." (p245)
  3. Toujours de Fermin... " Le moyen le plus efficace de rendre les pauvres inoffensifs est de leur apprendre à vouloir imiter les riches. (p262)
  4. "Les livres sont des miroirs, et l'on n'y voit que ce qu'on porte en soi-même." (p277)
  5. "Le sot parle, le lâche se tait, le sage écoute." (p390)
  6. A propos de la mère de Carax, épouse du chapelier Cabestany, courtisée par le notable Aldaya, père de...Julian  : "Sophie ressentit pour lui ce mépris vacillant qu'éveillent les choses que nous désirons le plus sans nous l'avouer." (p503)

NB référence des pages, Livre de Poche
D'autres formules auraient pu être relevées notamment dans le premier tiers du livre.







  • Lune noire, Steinbeck, 1942.


Voici un magnifique petit ouvrage peu connu de Steinbeck: Lune noire, publié en 1942 et diffusé clandestinement en France pendant la Seconde Guerre.

Ce livre s'ouvre sur l'invasion et l'occupation par les soldats nazis d'un paisible village perdu au fond de la Scandinavie grâce à la traîtrise de Corell, collaborateur de la première heure....
L'occupation aurait pu se passer tranquillement aux yeux des Allemands venus seulement exploiter le charbon de ce village...

C'est sans compter sur la liberté que chérissent tant les villageois, et d'abord leur maire, Orden.

Progressivement, ils vont organiser une forme de résistance passive qui n'est pas sans rappeler Le Silence de la mer

L'impossible dialogue entre les chefs allemands et le maire notamment me semble particulièrement intéressant dans la mesure où l'on voit bien l'embarras dans lequel se trouvent finalement les Allemands, qui se réfugient toujours in fine dans l'invocation de la force.
(Vercors) par sa dimension psychologique évidente. Le maire invoquera le respect de la loi.

 

L'impasse de la logique occupante est soulignée à moultes reprises: chez les plus jeunes soldats, la maîtrise passe par l'extermination totale des occupés pour retrouver une forme de sérénité perdue. Le colonel Lanser est pour sa part attachant dans la mesure où l'on perçoit bien que ce vétéran de la Première Guerre mondiale, perçoit la vanité des ordres qu'il donne. Le chef allemand a bien conscience en réalité que si ses troupes gagnent des batailles, la guerre sera toujours déjà perdue par l'occupant.


Eloge subtil de la liberté, de la démocratie et de la république, Lune noire s'achève d'une manière remarquable. Sans entrer dans tous les détails, je dirai juste que de passive, la résistance devient de plus en plus active grâce aux Alliés et à la détermination des villageois.

Les Allemands, conseillés par Corell, se trompent jusqu'à la fin en croyant pouvoir s'en prendre au maire -primus inter pares- quand ils ne s'en prennent qu'à monsieur Orden...

Calliclès va l'emporter si l'on s'en tient aux actes, et aux exécutions qui se préparent à la fin du livre. La force domine certes.
Mais Platon est là, dans la bouche et le souvenir d'Orden, de Winter, et même du colonel Lanser (cette communauté de culture entre peuples qui se font la guerre n'est pas sans me rappeler LA GRANDE ILLUSION).

Le maire, alors qu'il s'apprête à mourir, cite de mémoire l'APOLOGIE DE SOCRATE:
"Quelqu'un dira: "Et n'as-tu pas honte, Socrate, d'une vie qui te conduit à une fin prémarurée?" A celui-là je peux répondre: "Tu te trompes; un homme juste en tout ne devrait pas calculer les chances de vivre ou de mourir; il devrait seulement considérer s'il a bien ou mal agi, s'il a tenu le rôle d'un homme bon ou d'un homme mauvais. (...) Et maintenant, hommes qui m'avez condamné, je voudrais vous faire une prophétie...car je vais mourir..et..à l'heure de leur mort...les hommes ont le don de prophétie. Et je vous prophétise..à vous qui êtes mes meurtriers..qu'aussitôt après mon départ...un châtiment beaucoup plus sévère que celui que vous m'infligez vous attendra sûrement. Vous me tuez, moi, parce que vous voulez échapper à l'accusateur, et pour ne pas rendre compte de vos vies! Mais ce ne sera pas comme vous le supposez; ce sera très différent. Car je vous le dis, vous aurez plus d'accusateurs qu'il n'y en a maintenant....des accusateurs que j'ai jusqu'à présent retenus; et comme ils seront plus jeunes, ils auront moins d'égards pour vous et vous offenseront davantage. Si vous pensez qu'en tuant des hommes, vous pouvez empêcher quiconque de châtier vos mauvaises vies, vous vous trompez."


Choisir la bonne attitude et s'y tenir jusqu'au bout, debout, dans la dignité...
Voilà qui est beau.