MAJ 24/11/2024
- L'homme qui plantait des arbres, Jean GIONO, 1953,1983.
Relecture plus de 30 ans après d'un texte écouté en classe et aimé : histoire d'un homme simple et taiseux, solitaire, Elzéard Bouffier, qui s'évertue à planter des arbres, quoi qu'il advienne. l'action imaginaire traverse l'époque des deux guerres mondiales qui sont comme en arrière-plan : force destructrice de l'homme, force créatrice et vitale de l'homme. Aussi bref que beau. Relu à l'occasion d'un atelier théâtre consacré au végétal.
- On est le mauvais garçon qu'on peut : notes de prison, Nicolas Fargues, 2024.
L'auteur le signale lui-même : son ouvrage aurait pu s'appeler carnets de Santé. Ecrivain, Nicolas Fargues s'intéresse à la prison de la Santé et obtient l'autorisation d'y animer un atelier d'écriture subventionné. Il observe, écoute, et raconte. Il enseigne à des hommes, souvent jeunes, dont il ne sait pas a priori ce pourquoi ils ont été condamnés, et dont il découvrira souvent dans un second temps en quoi ils sont de "vrais" mauvais garçons. Lui estime qu'en "volant" ces échanges, ces moments, en rapportant ses observations, en commettant ce qu'il pense être des transgressions mineures, il est aussi un "mauvais garçon". A la fin de son ouvrage, il élargira ce leitmotiv éponyme à la littérature, citant Balzac dans sa Préface des Illusions perdues. Lecture facile, qui m'a parlé car j'ai enseigné à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy il y a près de 20 ans.
Je n'en dirai pas plus ici, mais j'ai été charmé par un mot et une phrase que je me contente de consigner ici :
page 79 : "J'aimerais bien, en guise de morale à ce paragraphe, trousser une tournure expliquant que le caméléon..."
Trousser/détrousser, trousser une tournure, trouver une tournure comme recherchée dans une poche. L'usage de ce verbe m'a rappeler les mots arroi/ désarroi.
page 113 : "Je ne me remets pas d'avoir perçu la part humaine d'un monstre avant d'apprendre que c'en était un."
Il y a quelque chose d'hugolien dans cet oxymore, quelque chose qui m'interroge aussi dans la mesure où elle vient essentialiser la personne dans le rôle de monstre. Si l'on essayait une formule similaire "la part monstrueuse d'un homme parce que c'en était un", en un sens nous aurions la même essentialisation en homme, et pourtant, la polysémie du mot homme donne l'impression que non. Pour que mon propos soit plus clair, cela me fait penser à la pudeur des héros, qui estiment souvent ne pas être ou avoir été des héros, mais peut-être au mieux avoir agi de manière héroïque à un moment donné, en somme, sa part héroïque, la notion de part venant souligner le fait que, positive ou négative, elle ne dit pas l'être dans sa complétude et dans sa complexité.
Un polar qui commence quasiment par la mort de la protagoniste qui se fait tirer dessus et restera dévisagée. Noémie Chastain va devoir se reconstruire et s'accepter. Reléguée loin du prestigieux 36 quai des Orfèvres, pour une mission de repos dans l'Aveyron qui doit viser à évaluer la pertinence ou non du maintien d'un commissariat, la Parisienne va remuer la vase d'une ville volontairement immergée 25 ans plus tôt enquêter sur des homicides qui ont marqué Avalone comme elle a été marquée au visage. C'est bien ficelé, tous les ingrédients sont là. A qui profitent les crimes? C'est captivant.
- Le second disciple, Kenan Gördün, 2019.
Molenbek : Xavier devient Abu Kassem après avoir été incarcéré pour une violente bagarre et avoir rencontré en prison Abu Brahim, l'un des responsables des attentats de Bruxelles. Les chapitres se succèdent entremêlant les voix, donnant à voir les mentalités parallèles. Le converti, déterminé, plus encore que ceux du canal historique. D'un côté les terros qui veulent s'en prendre aux aux mécréants; de l'autre côté, les terros de la fraternité aryenne, qui s'en prennent aux musulmans. Et au milieu, tous les gens ordinaires qui n'ont rien demandé à personne. Plongée dans les mentalités et les destins qui se croisent à Molenbek. Prenant.
- Ceci n'est pas un fait divers, Philippe Besson, 2023.
Un jour papa a tué maman. Deux destins d'enfants brisés, une enquête policière et familiale. Comme souvent avec Besson, ça se lit d'une traite ou presque. C'est déjà une bonne chose. Qu'est-ce qu'il en reste? Est-ce que c'est particulièrement bien écrit? Non. Pour autant, faut-il faire la fine bouche ? Non.
- Code 93-Territoires-Surtensions- Dans les brumes de Capelans, Olivier Norek, 2014-2023.
Tir groupé, trois mois après avoir dévoré ces quatre enquêtes du capitaine Coste. Pourquoi d'ailleurs ne pas faire entrer la série dans ma bibliothèque idéale ? Quatre d'un seul coup? Et alors? Oui j'aurais pu. Simplement trois mois ont passé et je ne sais plus trop qu'écrire sinon que c'était terriblement captivant et bien mené, comme Meurtres pour mémoire de Daeninckx ou Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte de Thierry Jonquet.
- Les Misérables, Victor HUGO, 1862.
Monument de la littérature française, je n'avais encore jamais lu la version intégrale. Finalement, les versions abrégées (parfois longues) que j'avais lues devaient être très bien faites. Evidemment, lire la version intégrale permet d'avoir parfois quelques agréables surprises (complexité du personnage de Javert) ou sources d'étonnement, mais il y a aussi des longueurs et des passages parfois un peu faibles (mièvres, répétitifs, longs). Une traversée que je tenais à faire néanmoins. Cela me rappelle, dans une moindre mesure, ma traversée de la Recherche (qui m'aura demandé bien plus d'efforts et d'années). Alors que je dînais cet été un soir à Illiers-Combray, j'entends une conversation voisine avec cet aveu d'une dame à son mari : "Je n'ai jamais réussi à lire Proust. J'ai essayé pourtant. Mes les phrases sont longues. Je n'y arrive pas." J'ai bien hésité à intervenir pour la rassurer et lui permettre d'accéder à ce qu'il faut lire de la Recherche pour comprendre pourquoi Proust est un monument mais aussi pour se délecter de pages si bien écrites. J'aurais pu, sous prétexte que nous nous trouvions dans cette ville au nom hybride choisi en hommage à Proust. Je ne l'ai pas fait. On pourra toujours débattre : faut-il n'avoir accès qu'au meilleur, ou faut-il par moments aussi, avoir des points de comparaison qui permettent de prendre conscience de la valeur exceptionnelle de certaines œuvres ? En écrivant cela, je pense aussi certaines expériences culinaires. Clairement, il est bon d'avoir de bonnes adresses et Simorgh est d'ailleurs né un peu de cette idée. Il n'est pas mauvais non plus de temps en temps d'explorer ailleurs, quitte à être déçu, mais aussi à découvrir des pépites inattendues ou à se dire que oui, la qualité n'est pas toujours au rendez-vous.
- Les Impatientes, Djaili Amadou Amal, 2017, 2020.
Ce livre a été primé (Prix Goncourt des lycéens à sa parution je crois). Je l'avais acheté sans le lire encore. Là encore, temps et appétence ont fait le reste car il se lit très bien. Il donne accès aux pensées de trois femmes mariées récemment ou nouvellement co-épouses. L'auteure est camerounaise et donne à voir ce que signifient mariage forcé, polygamie, tantines, l'inculcation et la perpétuation d'un carcan social et culturel où dominent les hommes, l'injonction à l'abnégation par l'appel sans cesse répété à la patience. Un livre qui se lit très bien.
- Les visages de l'ombre, BOILEAU-NARCEJAC, 1953.
Un livre qui m'avait été offert par une amie. Un livre qui était délaissé mais que j'avais conservé et dont la quatrième de couverture a dû me donner envie de me plonger enfin dedans. Il est vrai qu'un petit carton jaune avec l'écriture manuscrite de l'amie qui m'avait offert ce livre a contribué à me motiver. Un personnage à qui tout semble réussir (chef d'industrie) a un accident et perd la vue. Qu'est-ce que ça change ? Pas mal de choses, notamment cela accroît le peu de confiance qu'il a dans son entourage. Le lecteur est embarqué car l'écriture rend la lecture captivante même si j'ai la fin m'a semblé abrupte et poussée à l'excès, voire mal préparée ? Je ne saurais bien dire, mais autant j'ai adoré tout le livre, autant la fin m'a déçu alors même qu'elle aurait pu me charmer car j'en aime assez l'idée. Lu en deux jours en cet été 2022.
- Allons voir plus loin, veux-tu ? Annie DUPEREY, 2002.
Alors que mon site était en jachère depuis un an voire un peu plus, voilà que la lecture de ce beau petit livre m'a donné envie de me remettre à la mise à jour de Simorgh. Qu'en dire? Plusieurs chapitres se succèdent et donnent à suivre l'histoire de personnages qui souffrent. Petites unités apparemment closes, ces chapitres se lisent bien. Je me suis attaché à chacune et à chacun des personnages, les laissant avec regret et avec un goût d'inachevé. La quatrième de couverture l'annonce mais on les retrouve ensuite car ils vont être amenés à se rencontrer les uns les autres. Douceur, puissance de l'amour, réunification d'identités abîmées et fragmentées. J'ai pris le temps de le lire (plusieurs mois) et alors même qu'il me plaisait, j'ai lu en parallèle. Tout se passe comme si ce roman m'avait redonné le goût de lire. C'est partiellement vrai. En réalité, il y avait aussi une étape dans mon parcours de vie professionnelle qui m'a conduit à mettre entre parenthèses nombre de mes habitudes. Qu'il est bon de reprendre Simorgh qui a fêté cet été ses 14 ans.
Beau texte qui se lit bien, donne à entendre deux textes comme en écho qui alternent : celui de Pennac qui parle de son frère, dresse le portrait vivant de ce Bernard décédé en lui rendant hommage et en commémorant son humour, celui de Melville, qui donne à découvrir Bartleby, le scribe, personnage éponyme de la nouvelle de Melville, employé d'un notaire aux requêtes duquel il objecte imperturbablement et incessamment "I would prefer not to do" "Je préférais ne pas".
Pour illustrer l'humour de son frère, Pennac rapporte notamment ces deux anecdotes :
"Il ne jouait plus. La tristesse était profonde. Aujourd'hui je pense que M.Parkinson était en route, si ce n'est déjà installé en lui.
Sa première pensée, quand le diagnostic tomba, fut pour l'épouse:
-Elle qui veut que je me secoue, elle va être servie."
A propos d'une tante "haute en couleur et en mots" qui regarde Daniel comme si elle avait avalé son dictionnaire en l'entendant dire :
-Bon, ce n'est pas tout ça mais il faut qu'on y aille, on va manger chez les R.
-Mais non, voyons, vous allez dîner, chez les R !
Mon frère tempéra doucement:
-Oui, mais tu connais Daniel, il en profitera certainement pour manger quelque chose.