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MAJ : 30 juillet 2017 (date de création de l'archive en réalité)

 

 

 

  • Le Chant d'Achille, Madeline Miller, 2012, 2014.

 

 

Un livre offert par une amie peut être une chance extraordinaire. J'ai eu cette chance avec Le Chant d'Achille, recommandé et offert par Juliette. Paru en 2012, traduit en français en 2014, ce premier roman de Madeline Miller est déjà traduit en 23 langues. Éblouissant, universel, émouvant hymne à l'amour là où Homère écrivait un chant de la colère d'Achille. Patrocle en est le narrateur. Maladroit, exilé par son père après avoir commis un homicide involontaire, humain trop humain, il s'éprend du fils de Pelée, son hôte et père adoptif, le divin et parfait Achille qui en fait son compagnon. C'est donc sa vie, son amitié et son amour, ce qui précède la guerre de Troie et la guerre de Troie que raconte ce roman, avec les yeux et la sensibilité de Patrocle.

 

Résumé chapitre par chapitre:

 

  1. Patrocle, "source de déception" pour son père regarde avec admiration le jeune vainqueur d'une course dont le père est très fier: Achille.
  2. Les prétendants d'Hélène prêtent serment. Le très jeune Patrocle fait partie des prétendants. Hélène choisit Ménélas.
  3. Patrocle tue malgré lui le jeune Clytonymos. Il est exilé à la cour de Pelée, roi de Phtie, père d'Achille.
  4. Patrocle admire Achille qui lui évite une punition en le menant à sa leçon de lyre. Achille joue de la lyre sur l'instrument qui appartenait à la mère de Patrocle.
  5. Achille choisit Patrocle comme compagnon, évoque la prophétie maternelle: selon Thétis, Achille sera le meilleur guerrier de sa génération.
  6. Amitié et confidences. Patrocle raconte la mort de Clytonymos. Achille présente Patrocle à la divine Thétis.
  7. Patrocle raconte l'histoire de Méléagre. Thétis surprend le baiser de Patrocle à Achille qui doit partir suivre l'enseignement de Chiron.
  8. Patrocle rejoint Achille. Grotte de Chiron, le centaure professeur et protecteur des deux compagnons malgré l'interdit maternel.
  9. Instruction de Chiron. Apparitions de Thétis. Achille, le plus grand guerrier de sa génération selon Chiron. Patrocle refuse d'apprendre à se battre.
  10. Amour, pas encore la guerre. Un héraut vient chercher Achille.
  11. Rappelés auprès de Pelée, Achille et Patrocle doivent-ils répondre à l'appel d'Agamemnon?
  12. Patrocle retrouve Achille chez le roi Lycomède, à Scyros où sa mère Thétis le cache déguisé en fille pour le soustraire à la guerre. Deidamie, unie à Achille(alias Pyrrha) porte un enfant de lui.
  13. Jalousie et solitude de Deidamie qui convoque un matin Patrocle et obtient de lui qu'il lui fasse l'amour et transmette son au revoir à Achille. Elle doit partir se confiner jusqu'à l'accouchement.
  14. Ulysse le rusé débarque avec Diomède et démasque la danseuse et le Chironides Patrocle.
  15. .Ulysse parvient à convaincre Achille de venir à Troie: il lui promet la gloire ou l'oubli selon son choix. Il évoque une prophétie des dieux. Apparition de Thétis qui révèle à son fils qu'il mourra à Troie, encore jeune homme. Patrocle, par amour accepte de suivre Achille ("Ah, l'éternelle souffrance de l'amour et du chagrin! Dans une autre vie, j'aurais peut-être pu refuser, m'arracher les cheveux, hurler, et l'envoyer affronter son choix seul. Pas dans celle-ci. Il prendrait la mer et je le suivrais, même dans la mort.")Patrocle invoque Thétis qui lui révèle qu'Hector mourra le premier. Patrocle supplie Achille de ne pas tuer Hector. Celui-ci accepte pour la simple raison qu'Hector ne lui a rien fait... Thétis élèvera Pyrrhos. Départ maritime. Achille tient à rester avec Patrocle, quoi que disent les rumeurs. Il s'enquiert des héros grecs et troyens auprès d'Achille. Pâris est favorisé par Aphrodite, Hector l'aîné de Priam par Apollon, Agamemnon,roi de Mycènes, est un descendant de la maison d'Atrée, de Tantale et de Zeus. Il sera le général en chef. Achille prévient Ulysse: "Je suis venu de mon plein gré, prince d'Ithaque. J'accepterai donc les conseils d'Agamemnon, mais pas ses ordres." Le prudent Ulysse de rassurer Achille, qui est attendu et sera honoré.
  16. Retour à Phtie d'où le général des Myrmidons Achille part pour Troie.
  17. Rassemblement à Aulis. Achille soutient Agamemnon sans lui prêter allégeance.
  18. Pas de vent. Pour apaiser Artémis, Agamemnon promet sa fille Iphigénie en mariage à Achille...avant de la sacrifier. Le vent revient.Colère et culpabilité d'Achille. Patrocle en veut à Ulysse pour sa ruse, nécessaire à Clytemnestre mais infamante pour Achille.
  19. Achille obnubilé par la mort d'Iphigénie. Arrivée à Troie. Résistance. Achille tue un premier Troyen. Hector tue un premier Grec.
  20. Premiers raids contre les alentours de Troie. Premiers succès d'Achille qui tue. Patrocle évite d'être sa mauvaise conscience et l'écoute pour l'aider à digérer les images sanglantes, pour le délivrer de ce  fardeau et l'aider à redevenir lui-même.
  21. Achille obtient Briséis puis une dizaine de captives dont Patrocle s'occupe.
  22. Pourparlers échouent. Achille s'illustre dans des combats très meurtriers, toujours protecteur de Patrocle et observé par sa mère Thétis.
  23. Thétis est inquiète du climat qui règne entre les dieux. Patrocle soigne Antiloque. En écoutant Briséis, Achille réalise qu'il a tué 7 des 8 fils d'Hector et Andromaque.
  24. Achille calme une mutinerie. Thétis lui annonce une funeste prophétie: la mort du meilleur des Myrmidons d'ici deux ans...et ce ne sera pas Achille. Briséis voudrait donner un enfant à Patrocle. Achille y consentirait.
  25. Chryséis, fille d'un prêtre captive choisie par Agamemnon qui renvoie Chrysès. Peste. Achille vs Agamemnon. Briséis fera les frais de leur dispute.
  26. Patrocle met en garde Agamemnon pour protéger Briséis et déjouer le plan d'Achille qui se sent trahi.
  27. Achille et les siens ne vont plus au combat. Briséis est bien traitée.
  28. Duels: Pâris vs Ménélas (Pâris disparaît); Hector vs Ajax (égalité). Obstination d'Achille qui refuse de céder aux offres de la délégation envoyée par Agamemnon (Ulysse, Phénix, Ajax) et au récit de Phénix qui reprend l'histoire de Méléagre, grand guerrier rancunier que seule sa compagne Cléopâtre parvient à adoucir. Cléopâtre et Patrocle ont le même sens étymologique. Briséis inquiète pour Patrocle.
  29. Les Troyens pénètrent dans le camp qui déplore de plus en plus de blessés et de navires en feu. Achille reste inflexible.
  30. Par amour pour Achille (souci de sa renommée), Patrocle convainc Achille de le laisser prendre ses armes pour faire accroire à son retour dans la bataille. Achille accepte en demandant à Patrocle de ne pas se battre. Victoires et folie de Patrocle, tué par Hector.
  31. Achille pleure et venge Patrocle (qui reste narrateur) après avoir surpassé le dieu-fleuve Scamandre. Revêtu d'une nouvelle armure fournie par Thétis, Achille affronte et vainc Hector qui porte l'armure de Patrocle, c'est-à-dire celle d'Achille. Tout se passe comme si Achille combattait Achille. Les Grecs eux-mêmes désapprouvent la folie d'Achille qui traîne la dépouille d'Hector autour de Troie. Même Thétis finit par l'abandonner, plaçant ses espoirs dans Pyrrhus, le fils d'Achille.
  32. Achille offre l'hospitalité au courageux Priam et lui remet le cadavre de son fils avant de porter Patrocle au  bûcher funéraire.Il vainc encore Semnon, l'amazone Penthésilée et le plus jeune des fils de Priam, Troïlos, venu venger son aîné. Depuis les remparts de Troie, Pâris, secondé par Apollon, abat Achille d'une flèche.
  33. Arrivée de Pyrrhos/Néoptolème, fils d'Achille. Il a douze ans, est arrogant car la prophétie l'associe à la chute de Troie. Impudent avec Briséis qui parvient à s'enfuir après avoir tenté de l'assassiner quand celui-ci restait sourd aux dernières volontés de son père (unir Patrocle et Achille dans la mort),Pyrrhos tue une princesse captive (Polyxène) en complément de la génisse immolée pour le départ des Grecs, et meurt tué par un fils d'Agamemnon dont il avait enlevé la femme. Patrocle évoque avec Thétis ce dont il faut se souvenir à propos d'Achille. Elle permet leur union dans la mort, elle qui s'opposait de leur vivant.

 

Quelques éclairages complémentaires ou passages que j'ai particulièrement aimés:

 

 

  • Deux récits insérés dans le roman résonnent comme des prophéties: l'histoire de Méléagre, guerrier rancunier, racontée par Pelée à Achille (chapitre 7) et remémorée par Phénix à Achille (chapitre 28) quand les Troyens menacent de pénétrer dans le camp grec; l'histoire de la folie d'Héraklès, punition divine, racontée par Chiron (chapitre 9): quand le disciple Achille s'étonne de ce que la femme d'Héraklès soit la victime de cette punition divine, Chiron lui répond que survivre à l'être aimé est plus dur encore que de mourir...
  • Si Patrocle ruse avec Ulysse (chapitre 14) en se nommant Chironides (fils de Chiron), il est trahi par son accent qu'il a adopté à Phtie dans sa terre d'adoption. Ulysse le rusé ne s'en montre pas moins patient car c'est la proie, non seulement son ombre, qu'il est venu chercher avec Diomède (lui aussi présent lors du serment de protection au couple Ménélas Hélène). Si le roi Lycomède s'est montré prudent en confinant Deidamie, en ne présentant pas spontanément ses danseuses à ses hôtes, si Achille travesti en Pyrrha se montre rusé devant les cadeaux offerts par Ulysse aux danseuses (miroirs, pierres précieuses, argent, boucles d'oreilles...), le tour d'Ulysse pour démasquer Achille marche à merveille: quand une trompette sonne l'alarme, les filles crient toutes, sauf une: Achille/Pyrrha qui se saisit d'une des épées en argent.
  • Les prophéties relatives à Achille sont nombreuses, égrainées au cours du récit et se font de plus en plus précises: le meilleur guerrier de sa génération (Thétis), sa  gloire sera ternie s'il ne se rend à Troie (Ulysse; il mourra à Troie encore jeune homme (Thétis); Hector mourra le premier (Thétis à Patrocle). Une ultime prophétie destinée à Patrocle mais comprise autrement révèle que le meilleur des Myrmidons mourra dans les deux ans et qu'Achille assistera à cette mort.
  • L'histoire d'Agamemnon et de son ascendance (chapitre 15) rapportée par Ulysse à Achille qui se renseigne sur les protagonistes est intéressante à plus d'un titre: Agamemnon est un Atride. Son arrière-grand père était Tantale, fils de Zeus. A l'époque de Tantale, tous les royaumes avaient la même taille et vivaient en paix. Tantale malgré tout est mécontent de la part qui lui a été attribuée et se met à prendre la terre de ses voisins par la force. Fier de ses succès sur les hommes, il décide de vaincre les dieux eux-mêmes, pas par les armes, mais par la tromperie. On connaît la suite. Il égorge son fils Pélops qu'il découpe et fait rôtir avant d'inviter les dieux à dîner. Sont-ils omniscients? Zeus condamne Tantale au Tartare, rassemble les morceaux du corps de Pélops pour lui insuffler une seconde vie. Malgré son jeune âge, Pélops devient roi de Mycènes. Pieux et sage, pourtant de nombreux malheurs affectent son règne car la descendance de Tantale est maudite, condamnée à la violence et au désastre. Les fils de Pélops, Atrée et Thyeste, ont le même appétit que leur grand-père, rivalisent pour le trône, une fille est violée par son père, un fils rôti et dévoré. Avec Agamemnon et Ménélas, le destin semble avoir changé selon Ulysse...
  • La rivalité entre Agamemnon et Achille est nourrie: d'emblée, Achille accepte les conseils, non les ordres d'Agamemnon, général comme lui. Il vient de son plein gré, refuse faire allégeance à l'Atride qui l'outrage en lui promettant la main de sa fille Iphigénie, alors qu'il sait qu'il s'agit d'un subterfuge pour tromper la vigilance de Clytemnestre. L'épisode célèbre de Chryséis et de la peste ne semblent que la cristallisation de cette rivalité d'orgueils démesurés.
  • L'amour de Patrocle pour Achille est permanent: enfant chétif mal aimé de son père, il admire d'abord celui qui fait la fierté de son père. Il est la figure de l'altérité rêvée. Quand Achille quitte Pelée pour suivre l'enseignement de Chiron, Patrocle part à la recherche de celui qu'il aime et parvient à le retrouver. Apprendre à soigner voire à guérir autrui plutôt qu'à se battre: tel est le choix de celui qui aime le meilleur guerrier de sa génération selon les mots même de Chiron. Séparé à nouveau d'Achille, Patrocle parvient à le retrouver travesti sous le nom de Pyrrha, chez le roi Lycomède, sur l'île de Scyros.Patrocle toujours accepte par amour de suivre Achille à Troie (il y était aussi en principe tenu par son serment, fait à l'âge de neuf ans) et lui demande de ne pas tuer Hector (cf prophétie que Thétis révèle à Patrocle) Patrocle se garde d'être la mauvaise conscience d'Achille et l'écoute pour le délivrer d'un fardeau et l'aider à redevenir lui-même, celui qu'il aime. Même quand il va trouver Agamemnon pour sauver Briséis en trahissant le plan d'Achille, il a à l'esprit la préservation de la renommé d'Achille. De même quand il lui demande ses armes, c'est pour concilier réputation et orgueil d'Achille.
  • L'amour d'Achille pour Patrocle est protecteur, assumé et constant:il se moque des rumeurs, choisit son compagnon et assume son choix y compris quand Ulysse évoque de possibles rumeurs nuisibles à sa réputation: sa gloire et ses bienfaits seront suffisants. Les rares fois où Patrocle combat, Achille a toujours une vigilance protectrice sur lui. Quand Briséis demande un enfant à Patrocle (dont il ne veut pas), Achille (qui a déjà un enfant) laisse Patrocle libre de son choix: il consent à cet enfant. Quand Patrocle va trouver Agamemnon, Achille se sent trahi par Patrocle mais il ne lui en tient pas rigueur ("Nous sommes pareils à du bois mouillé qui n'arrive pas à s'embraser."). Ses larmes enfin, la puissance de sa vengeance et ses dernières volontés (union dans la mort) disent la force et la permanence de son amour.
  • La haine de Thétis pour Patrocle commuée en acceptation dans la mort d'un amour qu'elle a longtemps jugé indigne de son fils: au fil du roman, on sent combien Thétis méprise Patrocle et le rejette. Dans le dialogue final pourtant, elle semble ouvrir les yeux sur une autre dimension mémorable de son fils, celle que son amant a chérie, celle que le Chant d'Achille met en exergue d'une manière admirable...

 

 

 

  • Changer d'altitude: quelques solutions pour mieux vivre sa vie, Bertrand Piccard, 2014.

 

Ce livre est une rencontre. C'est à ce titre qu'il entre dans ma bibliothèque idéale. Le parcours de Bertrand Piccard m'a séduit: explorateur ET médecin-psychiatre, il nourrit sa réflexion de ses expériences nombreuses et variées. Il a osé le tour du monde en ballon et relève le défi du tour du monde aux commandes d'un avion solaire volant sans carburant, Solar Impulse. Son expérience médicale, sa curiosité, sa volonté de comprendre, son refus des frontières mentales, des dogmes, sa promotion de la porosité spirituelle, l'alliance qu'il propose entre verticalité et horizontalité me parlent.

Son propos en somme consiste à dire qu'il nous faut lâcher du lest, être prêt à nous défaire de nos croyances, de nos habitudes, du poids de notre éducation pour changer d'altitude, trouver la bonne, au gré des vents de la vie. C'est un éloge de la faculté à s'adapter, à butiner ce qu'il y a de meilleur en l'autre pour faire son propre miel, à vivre des expériences, à sortir de la routine et des automatismes pour inventer la vie que nous voulons. Concilier verticalité et horizontalité, comme si notre vie était un ballon, poussée par des vents, qui peuvent être, selon notre altitude, favorables ou non.

Mes quelques lignes sont bien moins limpides que son ouvrage. Voilà pourquoi je retiendrai quelques passages qui m'ont plu ou parlé. Il est à noter qu'à la fin de son avant-propos, Bertrand Piccard donne son adresse électronique (professionnelle), idée nouvelle (en tout cas c'est la première fois que je vois ça) que je trouve judicieuse et révolutionnaire, profondément actuelle et horizontale.

 

Quelques passages qui m'ont plu:

 

  • "S'il y a un remède, à quoi bon le mécontentement? S'il n'y a pas de remède, à quoi bon le mécontentement?" (Shantideva, sage bouddhiste du 7ème siècle cité par Matthieu Ricard dans la préface de l'ouvrage)
  • "Mon Dieu, donne-moi la force de changer ce qui peut être changé, le courage d'accepter ce qui ne peut pas l'être et la sagesse pour distinguer l'un de l'autre!" (Marc-Aurèle)
  • "Si vous ne pouvez pas résoudre un problème, amplifiez-le. Il se passera alors quelque chose qui fera évoluer la situation..." (Eisenhower) Et cette illustration:
  • "Dans un salon de thé bien tranquille où ma femme et moi nous étions arrêtés un jour en famille, une de nos filles s'est tapé la tête contre le coin d'une table en jouant et s'est mise à pousser des hurlements stridents. très gênée, Michèle a essayé de calmer Estelle:

       -C'est fini, c'est fini, ça ne fait plus mal.

      Devant les redoublements des cris, une vieille dame s'est retournée et a lancé:

      -Visiblement, ce n'est pas encore fini!

      C'est exact que la manière la plus efficace de calmer une douleur, qu'elle soit physique ou psychique, est de l'accompagner sans s'y opposer:

      - C'est vrai que cela fait affreusement mal. Essaie de bien observer la douleur pour voir à quel moment elle va se calmer.

      Vous induisez ainsi tout naturellement trois effets:

  1. la crédibilité de votre intervention, car vous validez l'existence de la douleur;
  2. la dissociation entre celui qui souffre et la douleur elle-même;
  3. et le fait que la douleur va diminuer.
  • "Ce qu'il faut nous entraîner à acquérir, c'est un peu de distance par rapport à la situation, pour nous permettre de ne pas être top impliqué émotionnellement, même s'il s'agit de notre survie.

       L'autodérision est une bonne stratégie. Le bouffon de François Ier avait dérapé et s'était retrouvé condamné à mort. Comme le roi l'avait beaucoup apprécié, il lui laissa choisir sa mise à mort. A quoi le bouffon répondit:

       -Je demande à mourir de vieillesse, Sire.

       Il fut, bien-sûr, gracié sur le champ."

  • "Voilà ce que nous devrions appliquer dans les vents de la vie lorsque la situation n'est exploitable ni en l'acceptant ni en la refusant. plutôt que de nous battre horizontalement pour aller à gauche ou à droite, nous devons changer d'altitude pour prendre un autre vent qui nous emmènera dans une autre direction. En ce sens, la vie est un grand vol en ballon. Nous sommes bien souvent prisonniers des éléments qui nous emmènent sur des chemins qui ne nous plaisent pas. Nous pouvons certes nous lamenter et tenter de résister, mais ce ne sera que pour souffrir davantage. Notre responsabilité, notre libre arbitre consiste essentiellement, comme pour l'aéronaute, à changer de niveau.
  • "Au Moyen Âge, le débat d'idées oscillait entre le permis et le défendu, et j'aurais opté pour le défendu. Aujourd'hui, c'est plutôt entre le possible et l'impossible que le débat a lieu, et c'est l'impossible qui m'attire."
  • A propos de la terrasse aux carreaux vitrés d'une maison qu'il habitait, Piccard raconte que les abeilles mourraient, pas les guêpes. Avoir les avoir observées et avoir compris le phénomène, il appelle ses enfants pour leur "montrer la différence entre l'acharnement buté de l'abeille qui ne sait pas changer d'altitude dans ses stratégies [obstination devant le même carreau, jusqu'à la perte de force, à la déshydratation et à la mort] et la persévérance intelligente de la guêpe à qui lâcher du lest et changer d'altitude [essayer méthodiquement chaque carreau jusqu'à trouver l'ouverture] permet de réussir et de survivre."
  • Une relation se construit: "Lorsque j'ai décidé de changer d'équipier quelques semaines avant le décollage du Breitling Orbiter 3 et de prendre Brian Jones comme copilote, nous n'avions que très peu de temps pour construire notre relation. Et c'était mieux ainsi. Dans la vie de tous les jours, il est très artificiel de "construire une relation", d'analyser le chemin parcouru par chacun afin d'apprendre à se connaître et se respecter. Mais dans notre cas, il fallait un processus quelque peu formel et artificiel afin d'atteindre une altitude commune où notre entente impliquerait aussi une confiance totale.

       Nous avons donc réservé beaucoup de temps dans nos entraînements techniques pour aborder cela. Pour parler. Parler de tout. De politique, de religion, famille, argent, morale, société, aviation...De tout.

       Chaque fois que nous étions tous les deux du même avis, nous nous disions:

       -C'est très confortable d'être d'accord, mais ça ne sert à rien. Continuons à chercher des différences.

        A chaque divergence d'opinions, alors là, nous nous arrêtions pour nous demander:

       -ça, c'est intéressant. Qu'est-ce qui explique, dans les antécédents de chacun, que nos avis divergent?

       Une règle importante que nous nous étions fixée était l'humour. La phrase-code "Excuse-moi, je me sens légèrement inconfortable dans cette situation" signifiait en réalité "Tu me fais royalement chier." Mais elle impliquait toujours un sourire amusé chez l'autre, qui essayait de comprendre d'où venait l'agacement."

 

  • "Je vous propose de vous entraîner à appliquer trois règles de base avec votre entourage:
  1. Parlez de votre propre ressenti plutôt que de ce que dit votre interlocuteur;
  2. Partagez des expériences au lieu de transmettre des informations;
  3. Réalisez qu'il y a autant de réalités différentes que d'individus.

Parler de son ressenti. C'est une règle d'or lorsqu'on discute avec quelqu'un: ne parlez pas de l'autre et ne jugez pas davantage son comportement, mais exprimez plutôt ce qu'il provoque en vous, ce que vous ressentez vous-mêmes vis-à-vis de son attitude.

  • "Avec votre famille, vos amis, vos collègues, n'essayez pas de gagner. Faites tout ce que vous pourrez pour que chacun s'en sorte le mieux possible. Et, si l'autre ne joue pas sur le même terrain que vous, alors métacommuniquez: "J'essaie de trouver une issue où nous sortirons tous les deux la tête haute. J'ai l'impression que pour toi, il s'agit plutôt d'avoir un gagnant et un perdant. Qu'en penses-tu?"
  • "Nous sommes tous prisonniers de notre étiquette."
  • "Si par ton geste, ta parole ou ton regard, tu permets à un homme de s'élever, alors tu fais un acte d'amour." (Confucius)
  • "On pense généralement que c'est la joie qui crée le sourire. Eh bien non, je pense que c'est le sourire qui crée la joie. Il est impossible de simultanément sourire et ressentir de la colère. Tentez l'expérience de sourire devant votre miroir lorsque vous êtes contrariés et observez comment votre humeur va immédiatement changer."
  • "Et au crépuscule de votre vie? Ce que vous penserez en vous retournant? Comment vous auriez voulu vivre? Tout ce que vous regretterez à ce moment-là de ne pas avoir fait, commencez à le faire maintenant."
  • "Nous devrions au moins pouvoir nous dire une chose: "J'ai tout fait pour avoir une vie à la fois intéressante et utile." Intéressante pour apprendre, progresser, se développer. Mais cela ne suffit pas, au risque de rester égoïstement dans son monde. Utile, aussi, afin d'apporter aux autres de l'énergie pour avancer, sans toutefois que notre altruisme nous fasse perdre de vue nos propres buts. Il faut les deux, la relation à soi-même, et la relation aux autres."

 

 

 

 

  •  Syngué Sabour: pierre de patience, Atiq Rahimi, 2008.

 

Dans la mythologie perse, il s'agit d'une pierre magique que l'on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères...On lui confie tout ce que l'on n'ose pas révéler aux autres...Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate...Et ce jour-là on est délivré.

J'avais vu et beaucoup aimé le film (réalisé par Atiq Rahimi en personne); je lis et découvre le livre, poignant. La scène se passe "quelque part en Afghanistan ou ailleurs"; une femme veille sur son mari, blessé, paralysé et muet. Elle se met à lui parler comme elle ne l'a jamais fait en dix ans. "ça fait dix ans que nous nous sommes mariés. Dix ans! et c'est seulement depuis trois semaines qu'enfin je partage quelque chose avec toi." Tout y passe: le mariage in absentia, la première relation sexuelle, les relations avec la famille et la belle-famille, tout ce qui a été tu et retenu jusque-là. La parole se libère et libère cette femme dont le discours est subtilement entrecoupé de perturbations, témoins de la vie qui continue (enfants, militaires, voisins, etc.). Révélations, secrets s'accumulent: le mari est un réceptacle qui entend mais ne peut réagir. C'est le beau-père de la protagoniste qui évoque au seuil de la mort cette pierre magique: "c'est une pierre pour tous les malheureux de la terre", qui se trouverait dans la Ka'aba, à La Mecque.

Les révélations sont dures, témoignent d'une grande souffrance toujours restée intérieure jusqu'à ce que la protagoniste se dise qu'il sera sa syngué sabour.

""Je vais tout te dire, ma syngué sabour, tout. Jusqu'à ce que je me délivre de mes souffrances, de mes malheurs, jusqu'à ce que toi, tu..." Le reste, elle le tait. Laisse l'homme l'imaginer."

La sœur de la protagoniste a été donnée en mariage pour honorer un dette contractée par leur père parieur (combats de cailles).

La protagoniste a épousé son mari alors qu'il était au combat, seule une photo était là pour le représenter.

Quand elle a vu enfin son mari, elle a été jugée rapidement stérile parce qu'elle n'est pas tombée enceinte.

Tout se passe au rythme des respirations du mari, des soins qu'il faut lui accorder.

Soudain des soldats investissent la maison. Elle a juste eu le temps de cacher son mari et se fait passer pour une femme qui vend sa chair à des hommes qui vendent leur sang tant elle est acculée par leurs questions à justifier sa présence, seule, dans cette maison. Seule façon qu'elle a de les faire partir en évitant le viol car "mettre sa saleté dans un trou qui a déjà servi avant lui des centaines de fois ne procure aucune fierté virile."

L'histoire de la tante et le conte du roi qui ne voulait pas avoir de filles sont au cœur du récit qui suit. Après quoi le militaire bègue revient voir celle qu'il pense être une prostituée. Lui aussi a une histoire à raconter, des maux à exprimer...

 

L'évocation d'un rêve est l'occasion pour la conteuse de révéler à son mari qu'il n'est pas le père de ses filles car c'est lui qui était stérile! Pour éviter d'avoir à subir le sort de sa tante (répudiée parce que réputée stérile) elle a fait l'amour à un jeune homme, dans le noir, en silence.

Réveil du mari, qu'elle vient de surnommer du 99ème nom de Dieu, Al-Sabour (le Patient): il explose et veut sans doute la tuer. Elle le tue. Il la tue..ou non. Entre le jeune militaire qu'elle attendait...

 

 

 

  • Premier combat, Jean Moulin, 1947 (édition posthume)

 

Beau texte, émouvant, exemplaire. Journal de Jean Moulin, préfet d’Eure-et-Loir  au moment de l'entrée des soldats allemands dans Chartres, en juin 1940. Il est en uniforme de préfet, sous le drapeau tricolore, quand beaucoup ont fui. Il organise la fabrication et la distribution de pain quand tout est désorganisé et déserté. Grand homme à bicyclette, il continue de s'occuper des plus faibles, toujours amoureux de la justice, de la vérité, de la République et de la France. Témoin des atrocités et de l'hypocrisie allemandes,  il refuse de signer le "protocole", texte qui accuse de viol et d'atrocités les tirailleurs sénégalais qui ont défendu Chartres jusqu'au bout. Il demande des preuves. Il n'y en a pas. Il subit la torture et la loi du plus fort sans rompre. Enfermé avec un tirailleur sénégalais, il sait qu'il ne tiendra plus longtemps, qu'il risque de finir par signer. Mieux vaut saigner. Il se tranche la gorge avec des morceaux de verre...mais les soldats allemands le soignent. Il ne signera pas le protocole, tissu de mensonges qui porte atteinte à l'honneur de l'armée française, à la vérité, aux soldats qui ont combattu pour protéger Chartres quand beaucoup avaient fui.

Journal des 14 au 18 juin 1940, préfacé par Charles de Gaulle. Appendices intéressants qui rappellent que le préfet Moulin sera mis en disponibilité contre son gré en novembre 1940 avant d'entrer en résistance sous des pseudonymes divers, jusqu'à sa mort en 1943.

 

Quelques extraits qui m'ont particulièrement ému:

  • (page 75-77): entrée des Allemands dans Chartres.                                         "Les Allemands pénètrent rarement de nuit, dans les villes, mais maintenant ils ne doivent pas tarder à arriver. Rien, désormais, ne les en empêche, sinon quelques Sénégalais qui, dit-on, se sont magnifiquement battus et leur ont fait payer fort cher leur avance.

     Nous décidons d'attendre les Allemands dans la cour de la Préfecture. Mgr Lejards à ma droite, Besnard à ma gauche, nous échangeons de tristes réflexions sur les événements. Nous sommes face au drapeau qui flotte toujours au-dessus de la grille d'entrée. Nous nous surprenons à le regarder intensément, comme si nous voulions en emplir, en rassasier nos yeux pour longtemps...

  Soudain des moteurs pétaradent. Ce sont les premiers motocyclistes qui passent, non sans regarder avec surprise ces trois personnages, impassibles sous les couleurs françaises.

Il est 7 heures.

Ce sont ensuite des autos-mitrailleuses. Elles ralentissent l'allure devant le spectacle que nous leur offrons, mais ne s'arrêtent pas.

Bientôt, une grosse voiture vient stopper devant nous d'où sortent prestement plusieurs officiers. Saluts militaires.

Le plus âgé, qui est assurément le chef, s'approche et, en français, demande qui nous sommes.

Je déclare que je suis le préfet et que j'ai à mes côtés le représentant de l'évêque et le maire de Chartres.

J'ajoute: "La fortune des armes vous amène en vainqueurs dans notre ville. Nous nous inclinons devant la loi de la guerre, et je puis vous affirmer que l'ordre ne sera point troublé si, de votre côté, vous nous donnez l'assurance que vos troupes respecteront la population civile et spécialement les femmes et les enfants."

Sur quoi l'officier me répond:"Vous pouvez être sûr que les soldats allemands respecteront la population. Je vous considère, monsieur le Préfet, comme responsable de l'ordre et je voue prie de demeurer ici. Dites à tous vos administrés que la guerre est finie pour eux."

  Ils repartent aussitôt. Mgr Lejards et M.Besnard restent à mes côtés pour arrêter les dernières consignes à la population, en conformité avec mes engagements.

  Nous entendons rouler maintenant sans arrêt les blindés ennemis qui doivent occuper la ville et poursuivre leur avance."

 

  • pages 81-82: propagande et atrocités allemandes.  Antigone vs Créon.            "Ce matin, à leur arrivée, les Allemands ont crié à tous les civils qu'ils ont rencontrés:"La guerre est finie pour vous!"C'est la consigne. Je l'ai d'ailleurs reçue moi-même.

       Ils répandant maintenant la nouvelle de la capitulation de l'armée française, de la fuite de Reynaud et de Mandel en Angleterre. Lorsqu'ils peuvent approcher un groupe de Français, ils leur font écouter, en allemand, la radio de bord de leur voiture et traduisent ensuite à leur façon. Privés de T.S.F, personne n'a le moyen de contrôler leurs dires.

Mais ce que les Allemands ne disent pas, ce sont les atrocités qu'ils ont déjà commises dans le département.

J'apprends d'un homme sûr qui arrive à bicyclette du nord du département, qu'à Luray, une femme de quatre-vingt-trois ans a été fusillée ce matin pour avoir protesté contre l'occupation de sa maison.

J'aurai, par la suite, l'occasion de vérifier officiellement ce forfait qui a été plus ignoble que je ne pensais. La victime en est Mme veuve Bourgeois, née Paucher, originaire de Luray, où elle était domiciliée.

A l'aube du 17 juin 1940, les Allemands pénètrent par effraction dans sa maison. Mme Bourgeois survient et proteste vigoureusement contre cette violation de domicile. Sur ordre de leur chef, les soldats allemands s'emparent d'elle et l'entraînent dans un jardin. Elle est attachée à un arbre et fusillée sous les yeux et malgré les supplications de sa fille.

Mais là ne s'arrête pas la monstruosité de ces nouveaux barbares. Il faut aux nazis des raffinements: les Allemands interdisent à la fille de Mme Bourgeois de faire enlever le corps de sa mère qui devra rester vingt-quatre heures à l'arbre où elle a été suppliciée. Bien plus, ils obligent la fille à creuser elle-même la tombe de sa mère avec, tout le temps que durera cette douloureuse besogne, son cadavre sous les yeux.

Ainsi, à l'heure même où un officier supérieur allemand me donnait l'assurance que l'armée allemande respecterait la population civile du département, des membres de cette armée allemande commettaient contre une femme de quatre-vingt-trois ans ce crime odieux!"

 

  • pages 84-85: hypocrisie allemande.

"A la Préfecture, mes collaborateurs me confirment qu'il en est de même dans tous les quartiers. Dans beaucoup de cas d'ailleurs,au lieu d'opérer eux-mêmes, les Allemands utilisent les civils qu'ils ont surpris en train de piller. Au lieu de les punir, ils les prennent sous leur protection, les amènent à pied-d'oeuvre devant les boutiques qui les intéressent et leur font briser les devantures. Lorsque les voies sont ouvertes, ils entrent à la suite des civils.

(C'est un exemple de l'hypocrisie nazie. Combien de fois, par la suite, ai-je entendu des officiers allemands dire, au sujet de ces vols manifestes contre lesquels je protestais: "Le soldat allemand n'est pas un pillard; il ne commet jamais une effraction; mais on ne peut lui demander de ne pas profiter des biens abandonnés qui s'offrent  à portée de la main.")

 

  • pages 86-89: l'accusation, le protocole que Jean Moulin refuse de signer.

"Le général, me dit-il sur un ton déférent, désire vous voir, monsieur le Préfet, pour une communication importante, et m'a demandé de venir vous chercher.

-C'est bien, répondis-je, je vous suis.

Nous montons dans une voiture qui stationne devant la Préfecture et qui démarre aussitôt. Place des Epars, les officiers me prient de descendre et d'attendre devant l'hôtel de France, qui est occupé depuis le matin. Ils vont, me disent-ils, annoncer mon arrivée au général. Un quart d'heure se passe, vingt minutes. Pour tromper l'attente, je me dispose à faire quelques pas sur le trottoir, quand un soldat, que je n'avais pas remarqué et qui est chargé, apparemment, de veiller sur moi, croise son fusil et m'interdit de bouger. Je n'insiste pas.

Le jeune officier revient d'ailleurs quelques instants après. Il est seul et me demande d'avancer à pied avec lui.

Au milieu de la place, dans le bruit des moteurs et le va-et-vient des militaires de tous grades, il s'arrête et commence à me donner des précisions sur ce que le général attend de moi. Avec une indignation factice, il fait état de prétendues atrocités commises par nos soldats en se retirant: "Des femmes et des enfants, des Français, précise-t-il, ont été massacrés après avoir été violés. Ce sont vos troupes noires qui ont commis ces crimes dont la France portera la honte. Comme ces faits sont prouvés de façon irréfutable, il convenait qu'un document fût dressé qui établît les responsabilités. C'est dans ces conditions que les services de l'armée allemande ont rédigé un "protocole" qui doit être signé par notre général, au nom de l'armée allemande, et par vous comme préfet du département."

Je manifeste ma stupéfaction et je proteste contre les accusations portées contre l'armée française, et notamment contre les troupes noires: "Nos tirailleurs, ajouté-je, combattent, certes, avec une énergie farouche sur le champ de bataille, mais ils sont incapables de commettre une mauvaise action contre des populations civiles et moins encore les crimes dont vous les accusez."

Je sens que nous allons nous heurter durement.

"Je regrette, me dit-il d'un ton sec, mais nous sommes absolument certains de ces faits. En tout cas, suivez-moi chez le général."

J'obéis.

Nous arrivons à l'entrée de la rue du Docteur-Maunoury. On me fait pénétrer dans une vaste et belle maison, un peu en retrait de la rue. Dès que nous franchissons le seuil, deux soldats se précipitent sur leur fusil, mettent baïonnette au canon et m'examinent de la tête aux pieds. Décidément mon arrivée est annoncée. L'officier me laisse entre les mains de ces deux hommes et pénètre dans la première pièce  à droite. Il ressort aussitôt et m'invite à entrer à mon tour. Je suis maintenant en présence de trois officiers dont deux sont ceux-là mêmes qui sont venus me chercher  à la Préfecture. Le troisième est derrière une table sur laquelle se trouvent des serviettes en cuir et un certain nombre de papiers.

D'une façon beaucoup plus brutale, celui qui m'a conduit ici, et qui semble chargé de mener toute l'affaire, me signifie à nouveau ce qu'on attend de moi:" Voici le protocole que vous devez signer." Et l'homme qui est assis à table, sans se lever, me tend une feuille dactylographiée.

"Pensez-vous vraiment, leur dis-je en refusant de prendre le papier, qu'un Français, et, qui plus est, un haut fonctionnaire français, qui a la mission de représenter son pays devant l'ennemi, puisse accepter de signer une pareille infamie?"

La réaction est immédiate. Le meneur de jeu nazi se précipite sur moi et, rouge de colère, me menace du poing:" Nous n'accepterons pas, me crie-t-il, que vous vous moquiez de la Grande Allemagne! Vous allez signer, m'entendez-vous, vous allez signer!" Il m'a pris maintenant par le revers de ma vareuse et me secoue furieusement. Je ne me défends pas.

"Ce n'est pas, croyez-moi, répliqué-je, en me brutalisant que vous obtiendrez davantage que je commette une indignité."

Alors, avec une force peu commune chez un petit bonhomme de cette espèce, il me projette violemment contre la table. Je titube un peu pour rétablir mon équilibre, ce qui déchaîne les rires des trois nazis.

Celui qui était assis tout à l'heure s'est maintenant levé et essaie, dans un mauvais français, mais sur un ton plus calme, de me convaincre de l'obligation dans laquelle je suis de signer le "protocole".

 

  • pages 94-95: la raison du plus fort...

"Ils me traînent maintenant jusqu'à une table où a été placé le "protocole".

Moi.-Non, je ne signerai pas. Vous savez bien que je ne peux pas apposer ma signature au bas d'un texte qui déshonore l'armée française.

Mon bourreau n°1. -Mais il n'y a plus d'armée française. Elle est vaincue. La France s'est écroulée. Son gouvernement a fui. Vous n'êtes plus rien. Tout est fini.

Moi.- Soit, mais il y a une chose qui, pour l'armée française, même vaincue, comptera toujours: c'est son honneur, et ce n'est pas moi qui contribuerai à l'entacher...D'autre part, si, comme vous le dites, je ne représente plus rien, pourquoi tenez-vous tant à ce que je signe votre "protocole"?

L'Allemand.- Uniquement parce qu'il est conforme à la vérité et pour établir les responsabilités.

Moi.- Mais si vous avez des preuves de ce que vous avancez, personne ne pourra accuser l'armée allemande et ce n'est pas une signature arrachée à un ennemi qui conférera à votre récit un surcroît d'authenticité.

L'Allemand. - Vous n'êtes qu'un raisonneur de Français.

Je sens mes forces me lâcher. Plusieurs fois j'ai failli m'affaisser et chaque fois le soldat m'a frappé de son fusil sur les chevilles et le bout des pieds.

 

  • pages 98-99: les prétendues preuves.

"Voici, me dit-il, en se tournant vers moi, voici nos preuves."

Et d'un geste de la main, il montre, alignés côte à côte, neuf pauvres cadavres, tuméfiés, défigurés, informes, dont les vêtements déchirés et maculés permettent à peine de distinguer les sexes. Il y a  plusieurs corps d'enfants. Chez deux ou trois victimes, la convulsion des membres indique une agonie douloureuse.

Dans ce silence de mort, c'est une bien triste  vision. Mais, j'en ai tant vu, hélas! depuis un mois...des paysans tués à côté de leurs chevaux, des réfugiés carbonisés dans leur voiture, des femmes massacrées avec leurs enfants dans les bras...J'en ai tant vu que je n'ai pas grand'peine à maîtriser mon émotion.

Le nazi. -Voilà ce qu'on fait vos bons nègres. Et il me fait remarquer que ces cadavres sont bien ceux de femmes et d'enfants.

Moi. - Je ne conteste pas ce dernier point.

Le nazi. - Dans ces conditions, j'espère que vous ne ferez plus de difficulté à signer le protocole.

Moi. - De deux choses l'une: ou votre bonne foi a été surprise, ou c'est une incroyable mise en scène. Il ne faut pas être grand clerc pour voir que ces malheureux, dont le corps est criblé d'éclats, sont simplement victimes des bombardements.

Hélas! j'ai trop parlé, trop bien découvert leur jeu macabre. Alors, avec des regards chargés de tout ce qu'un être humain peut contenir de haine, ils se jettent sur moi et, à plusieurs reprises, leurs poings s'abattent sur ma tête, sur mes épaules, sur ma poitrine."

  • "Je sais qu'aujourd'hui je suis allé jusqu'à la limite de la résistance. Je sais aussi que demain, si cela recommence, je finirai par signer."

 

  • "Je sais que le seul être humain qui pourrait encore me demander des comptes, ma mère, qui m'a donné la vie, me pardonnera lorsqu'elle saura que j'ai fait cela pour que des soldats français ne puissent pas être traités de criminels et pour qu'elle n'ait pas, elle, à rougir de son fils.

       J'ai déjà compris le parti que je pourrai tirer de ces débris de verre qui jonchent le  sol. Je pense qu'ils peuvent trancher une gorge à défaut d'un couteau."

 

  • "Je ne savais pas que c'était si simple de faire son devoir quand on est en danger." (Lettre de Jean Moulin à sa mère et à sa soeur, 15 juin 1940, publiée dans les Appendices de Premier combat, Jean Moulin)

 

 

 

 

 

  • Cannibale, Didier Daeninckx, 1998

 

Roman court, percutant, bien écrit qui a pour point de départ un fait authentique: à Paris, en 1931, quelques jours avant l'inauguration officielle de l'Exposition coloniale, empoisonnés ou victimes d'une nourriture inadaptée, tous les crocodiles du marigot meurent d'un coup. Une solution est négociée par les organisateurs afin de remédier à la catastrophe. Le cirque Höffner de Francfort-sur-le-Main, qui souhaite renouveler l'intérêt du public allemand, veut bien prêter les siens, mais en échange d'autant de Kanak. Les "cannibales" sont expédiés!

Daeninckx donne corps à son roman en choisissant le récit inséré avec retour en arrière: le premier chapitre s'ouvre à la fin du 20ème siècle (une voiture est arrêtée en Nouvelle-Calédonie: le Kanak est autorisé à continuer son chemin, pas son ami blanc); le deuxième chapitre est le long récit de l'histoire de Gocéné, récit d'une amitié (il explique qui est ce compagnon blanc et en quoi il lui doit d'être en vie) et récit d'un amour pour Minoé, envoyée elle aussi à l'Exposition coloniale avant d'être prêtée au cirque allemand), long récit ponctué de passages brefs en italique qui renvoient à la situation d'énonciation initiale (Nouvelle-Calédonie, fin du 20ème siècle); le dernier chapitre ramène à la temporalité initiale et permet de comprendre justement la situation initiale.

Comment interpréter la dernière phrase? "Mon corps fait demi-tour."

Alors que Gocéné est sur le point de retrouver sa bien-aimée, Minoé, dans un contexte de rébellion kanak, alors même qu'il vient de raconter comment Caroz lui avait sauvé la vie sans se poser de questions au moment d'agir (il a déjà forgé son opinion quant à l'égale dignité des hommes), il me semble que Gocéné fait demi-tour pour assister son ami Caroz, en danger de mort.

 

Le roman me fait penser à Slumdog Millionnaire pour la quête amoureuse initiatique. Le choix des mots, la justesse des points de vue, la fin du roman donnent beaucoup de force à ce beau roman.

 

L’histoire:

Gocéné, un habitant de la Nouvelle-Calédonie, tente de se rendre jusqu'à la tribu de Tendo pour rejoindre de la famille. C’est un ami à lui, Caroz, qui l’accompagne. C’est alors que les deux compagnons tombent sur un barrage tenu par des rebelles. Ces derniers leur interdisent de poursuivre leur chemin. Caroz abandonne Gocéné qui doit poursuivre seul. Intrigués de voir un « Kanak » en présence d’un Blanc, les deux jeunes gens demandent des explications à Gocéné, qui désire se reposer avant de reprendre la route. C’est alors que l’on apprend l’histoire qu’a vécue le vieil homme pendant l’exposition coloniale de 1931.


L’armée française est venue les trouver, lui et d’autres membres de différentes tribus, dans le but de représenter « la culture ancestrale de l’Océanie » lors de l’exposition coloniale de Paris, en 1931. Ils embarquent alors tous en direction de la France et le voyage se déroule dans des conditions épouvantables : il y a en effet trois morts.

Arrivés en France, les kanaks sont traités comme des animaux : ils sont « logés » dans le zoo de Vincennes, à côté des lions et du marigot des crocodiles. Pour attirer le public, ils sont obligés de pousser des hurlements, de faire semblant de se battre. Par ailleurs, ils sont presque nus, alors que dans leur vie quotidienne, ils sont habillés.

On apprend aussi que Gocéné est parti pour ce voyage avec sa fiancée, Minoé. Or, un jour comme un autre, une partie du cortège des « hommes anthropophages de Nouvelle-Calédonie »(c’est ce qui est écrit sur leur enclos) est obligé de quitter Paris, et Minoé fait parti de ce groupe. C’est alors que Gocéné part à sa recherche avec son ami Badimoin. Leur parcours sera bien entendu semé d’embûches et ils devront faire face aux mentalités de l’époque…


Les personnages:
Gocéné : c’est le personnage principal de l’histoire. Il est promis à Minoé, de la tribu des Canala. Il ne fait pas partie du convoi qui doit quitter Paris. Avec son ami Badimoin, il part à la recherche de sa future femme. Il est courageux et fidèle en amitié. En effet, il n’hésite pas à affronter les dirigeants racistes de l’organisation de l’Exposition et les policiers qui partent à sa recherche. Par ailleurs, il n’abandonne jamais Badimoin, alors que celui-ci a peur de se réfugier dans le métro parisien. C’est un homme de parole, car il a promis au père de Minoé de prendre soin d’elle. S’il n’arrive pas à rester près d’elle, il fait tout son possible pour la retrouver et la ramener en Nouvelle-Calédonie.

Badimoin : meilleur ami de Gocéné, il part avec lui à la poursuite de Minoé, qui est sa cousine. C’est un appui sérieux pour Gocéné. Il le soutient dans toute l’aventure et le remotive quand il se décourage. Cependant, il va mourir à la fin de l’histoire en tentant de réchapper aux gardiens de l’exposition. Il meurt dans les bras de Gocéné.

Fofana : c’est un Africain qui a été engagé comme balayeur dans le métro. Il va sauver la vie aux deux kanaks en les cachant dans son réduit. Il est généreux car malgré le fait qu’il ait peu de victuailles, il les partage avec Badimoin et Gocéné. Par ailleurs, il leur indique la bonne voie à suivre pour rejoindre la gare et ainsi retrouver Minoé.

Caroz : il a pris la défense de Gocéné après la mort de Badimoin. On peut même considérer qu’il lui a sauvé la vie. En effet alors qu’un gardien de la paix allait lui tirer dessus, Caroz s’est interposé. Après cet épisode, Caroz a fait de la prison. Il a retrouvé Gocéné alors que celui-ci était retourné en Nouvelle-Calédonie. Depuis ce jour, ils sont devenus amis.
passages qui m'ont plu:
  • Gociné, à l'épreuve du découragement, raconte à son ami Badimoin comment il baisse les paupières et se réfugie dans son imagination pour tenir bon. "Tous les enfants des tribus de la montagne nous entourent: "Gocéné, Badimoin, c'était comment l'Europe, c'était comment Paris, c'était comment la France?"

       Il a les yeux clos, lui aussi, et il voit.

      -Qu'est-ce que tu leur réponds? Tu leur parles du zoo de l'Exposition coloniale, de       l'enlèvement de Minoé?

       - Non, je leur invente un conte, je leur dis que c'est beau, que c'est le pays des merveilles, pour ne pas briser leurs rêves..." 

Ce passage me rappelle Le ventre de l'Atlantique de Fatou Diome, publié en 2003.

 

 

  • "un hélicoptère en sustentation"
  • "un adolescent trop vite monté en graine"
  • "Comme si nous étions entrés dans une ruche de métal dont la reine aurait pris la forme d'une locomotive Pacific, suante, suintante, boursouflée, vers laquelle convergeraient des milliers d'insectes chargés de valises ou de paquets."
  • "Ne visitez pas l'Exposition colonialiste!Refusez d'être les complices des fusilleurs..."
  • "Je crois que les questions, on se les pose avant...Dans un moment pareil, ce serait le plus sûr moyen de ne rien faire." (réponse de Caroz à Gocéné qui lui demande pourquoi il s'est interposé aux policiers, lui sauvant la vie....phrase qui réapparaît juste avant la décision finale de Gocéné de rebrousser chemin).

 


  •  Tout, tout de suite, Morgan Sportès, 2011.

 

Tout le monde a entendu parler du "gang des barbares", de l'enlèvement, de la séquestration et de la mort d'Ilan Halimi. Fort bien documenté, Morgan Sportès transpose l'histoire dans un roman captivant, effroyable et fascinant qui permet d'entrer dans cette histoire de manière détaillée. La force de ce que l'auteur appelle un "conte de faits", captivant le lecteur tout au long des 400 pages réside justement dans le fait qu'il donne à voir les protagonistes, leurs motivations, leurs relations, leurs modes de pensée. On découvre le rôle de "Yacef", pourquoi et comment il a choisi "Elie", le rôle de "Zelda", l'appât. Amateurisme, avidité, cloisonnement des différents protagonistes, prudence de Yacef, sursauts d'humanité de certains geôliers dépassés par une situation qu'ils pensent ne pas contrôler, fascinations et craintes suscitées par Yacef, enquête policière, voyages en Côte d'Ivoire du "cerveau" qui contrôle ses troupes à distance...

Les points de vue de la famille, des proches et d'Elie lui-même n'occupent qu'une place minime. Le silence d'adultes (le gardien d'immeuble et le père de l'un des protagonistes notamment) laissent pantois.

Comment s'achève le livre? On sait qu'Elie a été retrouvé, que les principaux protagonistes ont été arrêtés. La responsabilité première et essentielle dans la mort d'Elie est désormais établie.

"Interrogé par la présidente de la cour d'assises de Paris, sur son identité et ses lieu et date de naissance, il déclare:

-Je suis né à Sainte-Geneviève des Bois le 13 février 2006.

 

Endroit et jour où Elie fut brûlé vif."